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Le rocher du diable

 La porte d’entrée monumentale vient de s’ouvrir, une dame apparaît,  vient s’appuyer à la rambarde ; elle suit attentivement mes évolutions qui ont pour but de me ranger convenablement sur un parking déjà encombré de trois véhicules. La manœuvre est malaisée, l’énorme tronc d’un marronnier se trouve sur ma trajectoire.

- Bonjour monsieur Passy, je reconnais que cet arbre est mal placé mais il était planté avant l’avènement de l’automobile, il garde sa priorité, mais vous auriez pu vous garer sur le côté.

D’après les descriptions fournies, je m’attendais à rencontrer une  amazone en jodhpurs et bottes noires, éventuellement une cravache à la main, Albertine Dubuisson est drapée d’une robe légère et colorée d’une élégante simplicité. De longs cheveux ondulés et châtains clair entourent un visage agréable maquillé sans outrances. Elle me toise de la hauteur de son perron, suit mon ascension et, sans bouger  d’un centimètre, me tend  la main d’un geste élégant.

- Vous avez une belle propriété madame.

- Ce sont les visiteurs qui me le rappellent, c’est vrai, je vis depuis toujours dans ce décor et j’y suis tellement habituée qu’il m’est devenu trop familier. C’est quand je rentre de voyage après plusieurs jours d’absence que je redécouvre les Barrettes, seulement c’est tellement rare.

- Vos chevaux sont dans les prés ?

- La majorité oui, trois autres sont en promenade...avec leur cavalier réciproque dont mon adjoint.

- Vous en avez beaucoup ?

- Des chevaux ? quatorze au total dont six pensionnaires, c’est largement suffisant pour occuper un homme à plein temps, le cheval demande des soins constants...préférez-vous converser en marchant ou assis dans un fauteuil ?

J’accepte de faire le tour des installations  en compagnie de la jolie propriétaire... Cinquante ans ? le temps doit s’écouler plus lentement qu’ailleurs dans ce décor champêtre, apaisant et vivifiant.

- Vous vouliez me parler de Jacques ?...nous étions heureux de nous retrouver après tant d’années, il me semblait que son séjour dans notre belle campagne lui était bénéfique, en quelques jours et malgré les années accumulées, il avait retrouvé le tonus qu’il affichait quand il dirigeait les grands travaux...et les petits. Regardez ces écuries, c’est lui qui en avait dessiné les plans et il avait  tenu à suivre personnellement l’aménagement, à surveiller les ouvriers, ce bâtiment était une ancienne bergerie en piteux état.

Les boxes s’ouvrent sur une coursive protégée par un grand auvent, crépi et peinture viennent certainement d’être ravivés depuis peu.

- Je ne m’attendais nullement à sa visite mais curieusement, alors que la rénovation n’était prévue que pour l’an prochain, j’avais décidé d’anticiper.

Nous avions contourné la demeure et revenions vers d’autres bâtiments.

- Une grange que nous avons rénovée après un incendie, je pense que votre journaliste local  vous a parlé de cette malheureuse affaire, comme d’habitude, il a extrapolé, je trouve et je suis loin d’être la seule que ce monsieur profite de sa situation pour donner des petits coups de griffes à droite et à gauche mais plus souvent à droite, je milite pour un parti qui n’a pas l’heur de lui plaire.

Toujours le grand débat qui entoure notre journal qui se veut indépendant et neutre mais qui, tout le monde le sait a un léger penchant vers la droite. Les politiciens de gauche nous accusent de les malmener, ceux de droite voudraient que nous les soutenions sans réserve. Yves ne m’a jamais dévoilé ses convictions politiques, je crois savoir qu’il est comme moi, sans aucun parti pris, seuls les hommes et les femmes qui font preuve de réelle volonté pour défendre les grandes et les petites causes  méritent  notre sympathie et notre soutien, qu’ils se trouvent d’un côté ou de l’autre. 

- Quels étaient vos rapports avec monsieur Léonardin quand il dirigeait les travaux...grands et petits ?

- Vous êtes toujours aussi direct ?... remarquez je suis comme vous, j’ai horreur des chemins détournés...vous supposez que sa seconde chute malheureusement fatale est un remake de la première, et que de ce fait je pourrais être concernée directement ou indirectement, c’est une question que je me pose et j’avoue que la réponse m’échappe. Il y a vingt cinq ans, j’étais une jeune fille naïve, j’avais vécu dans une ambiance hyper protégée, entre un père adorable et une mère poule, puis, après avoir fêté mes vingt  ans, le bonheur et la quiétude ont fait place à une série de malheurs, la mort brutale de mon père à la suite d’une chute d’apparence bénigne, la dépression de ma mère qui s’est transformée en maladie mentale irréversible...

Albertine s’appuie contre le tronc d’un tilleul puis m’invite à prendre place à ses côtés sur un banc providentiel.

- Quand le chantier des réservoirs a débuté, j’étais encore comme engourdie, tétanisée, cinq ans de léthargie, cinq ans durant lesquels la douleur d’avoir perdu papa  s’était à peine atténuée, autant d’années que je soignais maman, que j’étais son infirmière de jour et de nuit, que je partageais ses angoisses et supportais ses cauchemars...Puis j’ai rencontré Mario, l’adjoint de Jacques, un homme pour qui l’existence n’avait qu’un seul plaisir, l’amour physique...pour moi c’était une révélation et pendant plusieurs mois je ne pensais qu’à me retrouver dans les bras du premier homme de ma vie, c’était devenu un véritable besoin, un exutoire indispensable, de la léthargie j’étais passé à l’euphorie, à la limite de l’anesthésie. Quand je me suis réveillée, j’ai appris que Mario était marié, père de trois enfants, que chaque deux semaines il allait retrouver sa famille... J’ai cru devenir folle, je voulais tuer cet homme que je considérais comme diabolique,  c’est à ce moment-là que j’ai découvert Jacques, il est venu à mon secours sans que je l’appelle, son adjoint lui avait fait des confidences. J’ai découvert un autre aspect de l’homme, un ami, un confident presqu’un frère...mais comment puis-je vous parler ainsi ? ...nous nous connaissons à peine, voyez ma naïveté a tendance à revenir à la surface...j’ai éprouvé un grand vide quand j’ai appris le drame...

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18/08/2011
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