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Le moulin des ombres

Bien longtemps que je n’avais foulé le gravier rose du square Verdi, ce havre de paix évoque quelques souvenirs de jeunesse, des bons et des moins bons. Les bons ont une place privilégiée dans ma case mémoire, les mauvais ont été relégués au fond d’un tiroir avant de basculer dans les oubliettes.

J’attends un peu avant de m’asseoir sur le banc qui fait face à la statue de Verdi, rien dans les parages, le calme plat, l’heure est bien choisie, les promeneurs et les chiens font la sieste. Le compositeur de Rigoletto et du Trouvère a toujours le même faciès, l’absence d’un bout de nez cassé par un facétieux ou un malade le rend comique. Le pire, c’était quand un groupe de carabins lui avait enduit les fesses d’une peinture verte, peu de promeneurs avaient compris l’allusion.

Je m’asseyais, c’est ce qu’attendait probablement mon contact ; une dame aux lunettes noires et à la perruque blonde surgissait de nulle part et s’installait sur l’autre versant du banc, comme dans les  feuilletons policiers, une situation qui me déplaît, j’aime avoir mes interlocuteurs en face de moi.

Je me lève, me positionne devant elle.

- Vous êtes à ce point méfiante.

- Vous avez raison, je suis ridicule.

La jeune femme retire ses affreuses lunettes. Elle fait une bonne action, ses yeux sont d’un bleu vert couleur lagune des Marquises; approximativement trente ans, des pleins et déliés parfaits, un teint clair, un visage bien dessiné, une légère cicatrice au coin des lèvres accentue un air mutin. Elle entre dans le vif du sujet sans préambule.

- L’inconnu du moulin de la Brèche pourrait être Fabien Mangoni.

- Un parent du menuisier, son fils ?

- Oui, quand j’ai vu le portait dans la Gazette, je n’ai pas réagi mais, en lisant le descriptif, j’ai pensé à lui, le lieu de la découverte renforce ma conviction.

- Vous étiez amis?

- Je suis mariée, je réside en Angleterre, mon mari est professeur de Français à Bristol, nous sommes actuellement en vacances. J’ai connu Fabien il y a deux ans, ici, dans cette ville, nous avions... sympathisé et nous nous sommes retrouvés l’an dernier, toujours à la même époque. Il m’avait emmené à la campagne, à Lannois, et m’avait fait visiter sa maison natale, il m’avait raconté la triste histoire de son papa, son suicide, nous sommes allés nous promener près de ce moulin tragique...

Des larmes perlent sous les jolis yeux.

- Excusez-moi, les souvenirs, je revois ce canal aux eaux sombres et profondes, Fabien avait jeté une pierre dans ce grand bassin, une grosse bulle était remontée à la surface...notre aventure s’est terminée avec mon retour vers l’Angleterre, j’ai appris par des amis communs que Fabien avait émigré au Canada et qu’il était revenu en France pour les fêtes de fin d’année mais je ne l’ai jamais revu.

- Il a une sœur je crois.

- Je sais, il m’a parlé d’elle, ils ne se voyaient plus, ils étaient fâchés.

- Vous savez où réside cette sœur?

- Pas vraiment, je sais simplement qu’elle habite dans le sud-ouest, dans la région de Bordeaux...voilà, je vous ai dit ce que je savais, j’aimerais me tromper mais j’ai le sentiment que l’inconnu n’est autre que Fabien.

- Il vous avait parlé de son père dites-vous, vous a-t’il fait part de doutes concernant la mort tragique?

- Il m’a parlé de désespoir, de graves ennuis financiers, Fabien semblait admettre la thèse du suicide.

La dame rechausse ses lunettes noires et se lève, je la remercie, elle s’évapore dans les bosquets comme elle était venue.

Je ne peux taire cette information, j’avise Gobert.

- Fabien Mangoni, le fils de la première victime? l’histoire tient debout, une similitude inattendue, j’en réfère à mon capitaine, puis-je connaître la source de ces tuyaux intéressants?

- J’ai promis la discrétion, merci de me tenir au courant de la suite.

 

L’adjudant tient sa promesse, il m’appelle.

- Tout colle à première vue, nous avons retrouvé la trace de Fabien Mangoni, il vivait au Canada, il a pris un avion pour Paris le vingt et un décembre dernier, nous le retrouvons dans un hôtel de Neuilly-sur-Seine où il séjourne deux semaines, il quitte cet établissement en réservant une chambre pour la semaine suivante mais ne revient jamais et ne donne aucune nouvelle...c’est sa sœur que nous avons localisée dans le Gers qui vient de nous donner ces renseignements qui nous laisse imaginer la suite du périple.

- Je croyais qu’ils étaient en froid?

- Effectivement mais Fabien avait pris contact par téléphone avec sa grande sœur concernant la vente de l’ancienne menuiserie et du logement attenant, elle voulait vendre depuis longtemps alors qu’il avait fait opposition. Désirant s’installer définitivement en Amérique, il était d’accord pour la cession et demandait à sa sœur de prendre contact avec le notaire. Il lui indique également qu’il va se rendre une dernière fois à Lannois, nous sommes début janvier, la date de la mort est dans ces eaux-là..oh! pardon c’est involontaire...Personne ne s’inquiète de sa disparition, il est sensé être retourné au Canada.

- Heureusement, il restait un fil d’Ariane.

- C’est peut-être le prénom de la dame qui vous a aiguillé vers le fils Mangoni.

L’air un peu goguenard du militaire me déplaît, ces messieurs semblent être au courant de mes faits et gestes, j’ai horreur de savoir que je peux être épié; écoutes téléphoniques, filatures, autant d’atteintes à la vie privée, et ils jurent leurs grands dieux qu’ils n’emploient jamais de méthodes aussi lâches.

- Vos investigations, localisées?

- Dans un premier temps, difficile d’enquêter chez les ruraux, ils se mettent en boule comme des hérissons...en parlant de villageois, le rapport des gars du téléphone est sans détours, coupure nette avec une cisaille, réellement un sabotage, à la limite  farce de gamins.

- Un peu grosse la farce.

- Les gosses ont de drôles d’idées, surtout maintenant, ils ont des exemples dans les feuilletons télévisés, c’est fou ce qu’ils copient, et en prenant de gros risques parfois...Vos amis du moulin devraient rentrer bientôt, allez donc leur rendre une visite de courtoisie, parlez des Mangoni, rien que pour voir leur réaction.

- Vous me prenez pour votre auxiliaire?

- A titre de revanche, monsieur Passy, vous le savez bien.

- Je peux annoncer l’identité de la victime?

- Pas encore, nous manquons de certitude, l’état du cadavre ne facilite pas la tâche, nous comptions sur la dentition, ce gaillard a rarement fréquenté les dentistes, une seule dent traitée, et encore un petit plombage insignifiant, quelle chance il a.

- En effet, mourir jeune sans avoir eu de maux de dent.

- Toujours concernant la carie traitée,  nous nous accrochons à des détails, la sécurité sociale n’a jamais remboursé de soins dentaires à Fabien Mangoni.

- Il a été soigné au Canada.

- Non, l’amalgame utilisé est français, européen à la limite, les plombs ont des frontières...

 



13/03/2011
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