Le moulin des ombres
Le capitaine Verlet se penche vers la découverte macabre.
- Un nouveau-né probablement pas d’aujourd’hui, ramassez-moi tous ces fragments d’os délicatement... Décidément ce réservoir était un réceptacle de cadavres humains...Vous faites l’impasse sur cette trouvaille monsieur le journaliste, il nous faut déterminer la date de la mise à l’eau avant d’enquêter et nous devons procéder discrètement dans ce genre d’affaire, vous avez assez de matière pour tenir vos clients en haleine, parlez des meules et de la menuiserie.
J’ai horreur de recevoir des conseils de ce genre, j’agis suivant mon instinct, éviter de parler du petit squelette est contraire à mes habitudes.
- Trop de témoignages nous parviennent dans un tel cas, des histoires sordides qu’il nous faut examiner à la loupe avant d’engager des recherches.
Verlet a développé un argument convaincant, je vais suivre ses recommandations pour une fois.
Je venais de reposer mon combiné, un olibrius m’avait saoulé avec un récit abracadabrant, il avait vu le portrait-robot à la une de notre journal et, malgré les numéros de téléphone indiqués, nous avait appelé. Il prétendait avoir reconnu son beau-frère disparu depuis plusieurs années mais son récit incohérent m’avait édifié, j’avais une fois de plus affaire à un dérangé.
- Encore un appel concernant le noyé, une dame cette fois.
Je suis plus attentif, la dame parle posément, m’explique les raisons invoquées pour éviter la gendarmerie, voulant garder l’anonymat.
- Vous savez comment sont ces messieurs, ils demandent tellement de renseignements personnels.
Elle pense reconnaître la victime.
- Pas vraiment d’après le portrait, il doit être approximatif, c’est surtout l’endroit de la découverte, dans le bief de ce moulin, et puis les circonstances, enfin, j’aimerais vous rencontrer.
Nous fixons un rendez-vous.
- Dans le square Verdi, face à la statue du compositeur, mardi treize heures.
Le choix de mon interlocutrice m’agrée.
- Comment vous identifier?
- Aucun problème, je vous connais monsieur Passy.
- Alors Laurent, une affaire intéressante j’ai l’impression.
Mon cher patron passe de temps en temps par mon bureau, il a toujours un faible pour ma rubrique.
- Trois ans au charbon, épreuve imposée par papa qui soutenait que cette matière était la synthèse de toutes les autres, le reflet de la société, il avait raison, comme d’habitude.
Je suis dans ma troisième année de ce régime et je n’aurais aucune chance de monter de deux étages, un peut-être, en fin de carrière, quand je serais perclus de rhumatismes, si je ne suis pas jeté avant.
- C’est excellent pour relancer le journal à la sortie des vacances, certains lecteurs en fin d’abonnement ont souvent de mauvaises intentions, il faut les remotiver.
Monsieur Magien se frotte les mains de satisfaction, finalement, je préfère le voir dans cet état que bougon et acerbe comme cela lui arrive trop souvent.
- Vous devriez faire un tour dans ce village de Lannois, rencontrer et interroger les indigènes, c’est fou ce que de telles localités conservent comme vieux souvenirs, l’histoire de ce menuisier devrait être relancée, je viens d’avoir mon ami Verlet au téléphone, il envisage de rouvrir l’ancien dossier si les coïncidences s’accumulent...A propos, restez toujours en retrait lors de recherches, vos avis sont certainement pertinents et judicieux mais vous savez que nos amis gendarmes, policiers et juges ont eu une certaine aversion pour les conseils venant de notre milieu.
Et pan sur le bec, le gros pitaine aura un retour de manivelle, je vais surveiller ses faits et gestes, essayer de le coincer sur un fait précis et incontournable, c’est le message que vient de me communiquer le grand patron, lui non plus n’aime pas recevoir de conseils dictés de l’extérieur.
J’ai le feu vert pour aller prendre un bol d’air à la campagne, j’aime assez et il vrai que l’approche de certains autochtones est passionnante, il arrive que l’on déniche des personnages hors du commun, comme les villes n’en possèdent plus guère. J’espère que le dernier bistrot de Lannois est encore en activité, c’est l’endroit idéal pour démarrer une enquête, c’est par le comptoir que s’échangent les ragots. Lors de ma dernière excursion, à la suite de l’incendie tragique, j’avais recueilli de nombreux renseignements souvent contradictoires, la thèse de l’incendie volontaire et du suicide était la plus diffusée mais d’autres paysans suggéraient un crime possible tout en restant discrets sur les causes éventuelles et encore plus sur l’identité de l’assassin présumé.
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