Le moulin des ombres
Les grands moyens sont mis à la disposition de la gendarmerie pour sonder la ballastière où flottait le lot de casquettes, un appareil de détection avait signalé la présence d’une masse métallique à l’aplomb d’un rocher qui aurait pu servir de plongeoir.
Un service d’ordre imposant bloque les abords de l’étang, Benoît m’accompagne.
Nous arrivons alors que la décision de draguer le fond est prise.
- Deux plongeurs confirment, un véhicule est planté dans la vase, à dix mètres de profondeur.
Un engin militaire est campé au bord de la ballastière, il déroule ses câbles alors que deux plongeurs redescendent dans la masse sombre.
- Vous vous attendez à un cadavre?
- Celui de Mangoni peut-être, vous avez vu l’engin mis à notre disposition par le régiment du génie de Nantilly, la police n’aurait jamais eu ce privilège.
La gendarmerie ne manque jamais l’occasion d’égratigner ses homologues policiers, c’est réciproque.
La grue se cabre un peu, lentement le filin remonte et un break apparaît, il est déposé délicatement sur la terre ferme.
Le hayon est entrouvert, aucun cadavre à l’intérieur.
- Vide, à part des cartons.
Comme supposé, le véhicule contient des articles de sports: chaussures, survêtements, accessoires...plus de casquettes.
- Un véhicule immatriculé dans les Bouches du Rhône, aucun papier à bord, nous allons savoir à qui il appartient, volé très certainement.
Nous quittons le site avec la promesse de recevoir des nouvelles. Benoît prend encore quelques clichés du paysage.
- Regarde ce décor, nous sommes loin de ton fameux moulin ? J’aimerais faire encore quelques photos.
- Tu as assez de pellicules?
- J’ai une réserve, l’environnement est sublime, regarde ces grands arbres penchés, et le moulin, l’écluse.
Benoît mitraille tout azimut, il monte sur la passerelle et glisse, heureusement, il saisit la rambarde.
-Il était temps, j'allais prendre un bain.
Quelques photos de l’ancienne menuiserie et nous quittons les lieux. Je fais un crochet par Lannois, surprise en passant devant la ferme Girard, un grand pan du mur a été abattu, la ferme est visible de la rue.
- Ma main pue, sent voir.
- Benoît me fait humer ses doigts, une odeur désagréable.
- La couche glissante sur la passerelle.
Nous sommes déjà sur l’autoroute, trop loin pour faire demi-tour mais je vais envoyer mes amis gendarmes sur place; et si les madriers avaient été enduits d’une sorte de graisse, un sabotage pour envoyer Marie-Louise dans le bouillon?
Marianne Mangoni m’appelle, son Vincent l’accompagne
- Je l’ai emmené dans ma maison natale, il avait des nausées...vous savez que j’ai eu une drôle de surprise, le logement avait été visité depuis notre incursion, dans la chambre de Fabien, j’avais remarqué la présence d’un objet quand nous y étions ensemble, il a disparu.
- Des gosses.
- Les enfants de Lannois ne viennent jamais à la menuiserie, ils ont peur, la maison d’un suicidé, Norbert peut-être, et encore.
- Quel était cet objet?
- Justement, une boule de verre, souvenir de Notre-Dame de Lourdes, vous savez ce genre de truc qu’il faut retourner...
- Et les paillettes retombent lentement.
- C’est cela, quand Fabien était gamin, il ne s’endormait jamais sans faire ce geste, maintenant que je suis certaine qu’il n’était pas la victime, j’ai l’impression qu’il est revenu dans les lieux depuis notre passage, qu’il rôde dans les environs.
Sans nouvelles depuis trois jours, j’allais faire un tour du côté des bureaux de la gendarmerie, Verlet arrivait en même temps que moi, il m’invitait à le suivre.
- J’allais vous appeler, le propriétaire du break est identifié, un grossiste en articles de sport basé à Aubagne, le représentant et le véhicule étaient portés disparus depuis début janvier mais les recherches étaient localisées sur le Languedoc et la région de Marseille, l’employé travaillait principalement sur les départements du Gard et de l’Hérault. L’homme venait d’être embauché fin décembre et sa disparition n’avait pas remué les foules, il n’avait aucune attache dans la région, seulement, son nom va vous surprendre, Claudio... Mangoni.
- Fabien! Sous un autre prénom.
- Non, nos collègues ont fouillé dans les affaires de ce Claudio, affaires que la logeuse avait virées dans un garage, ils ont retrouvé des photos du disparu, quelques ressemblances avec Fabien mais ce n’est pas lui. Il s’agit d’un Franco-Argentin, il avait vécu une vingtaine d’années avec sa mère à Nîmes, puis avait émigré en Argentine. Au mois d’octobre dernier, il est revenu en France, tout d’abord à Nîmes puis à Aubagne où il avait trouvé un emploi chez un grossiste en articles de sport. Il recevait depuis peu la visite d’une jeune femme, la description de la logeuse est proche de celle du portier de l’hôtel de Neuilly et de la vôtre.
- La femme du square au foulard de soie.
- Un rapprochement facile, ce genre de foulard a été offert aux distributeurs d’une marque d’articles de sport bien connue, nous en retrouvons un exemplaire au cou de votre femme, cadeau de dame Léa et un autre à celui de notre inconnue, cadeau du représentant.
- Une machination, supprimer physiquement Claudio et le faire réapparaître dans la peau de Fabien le pourchassé.
- Bien vu, à peu près le même âge, la même morphologie, de type méridional, et, ce qui ne gâte rien, le même nom, les escrocs internationaux sont des malins, le noyé est bien le danseur de tango Argentin, l’ami Claudio, joueur de tennis gaucher, nous avons eu confirmation.
- Et ma jolie dame aux yeux si tendres fait partie de la bande de trafiquants, elle a mis le grappin sur le malheureux Claudio.
- Avec la bénédiction de son ami Fabien, le choix de l’endroit, la corde, la meule, seul un initié pouvait organiser un tel scénario.
- Un grain d’émeri dans le déroulement, le corps est remonté trop vite des profondeurs, avec l’énorme meule qui l’avait lesté, il aurait dû y séjourner des années, voire toujours.
- C’était sans compter sur les fameuses tôles qui ont tranché la corde, celui qui les a balancées dans le bief a condamné les assassins.
- Et sans compter sur un carton de casquettes qui remonte aussi à la surface et entame une croisière sur l’étang.
- Repêché par un spécialiste des sauvetages.
- Vous allez rechercher le vrai Fabien Mangoni.
- Qui a l’indenté de Claudio et son visage ou à peu près.
- Grâce à la dextérité d’un roi du scalpel.
- Possible, reste à prouver toute cette belle mécanique.
- Et Ariane? vous êtes sur ses jolis talons.
- Ariane?... ah! d’accord, Ariane et son fil de soie, bien entendu et la cicatrice qu’elle vous a présentée était un leurre, celui qui peut enjoliver les dames peut également les enlaidir.
- Enlaidir? Ce n’est pas mon avis, ce détail lui donnait un air coquin.
- Je note, si nous la cravatons, je lui ferai part de votre remarque pertinente... La fameuse passerelle du moulin, elle a été effectivement enduite d’une substance grasse, mais les Delvaux soutiennent que cette graisse était destinée à préserver le bois contre l’humidité et qu’ils ne pensaient jamais que la pauvre femme allait se promener sur cette surface dangereuse.
- Ce point d’interrogation vous permet de cuisiner le chirurgien et son épouse.
- Exactement, et nous n’allons pas nous en priver.
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