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Le moulin des ombres

Le Cérigo est fermé, le rideau de fer est couvert de graffiti ‘éloquents’, le rouge sang prédomine. La peinture jaune de la porte est bien délavée, la sonnette a un son voilé. J’étais attendu, Mimi me guide dans un  long couloir aux lambris couverts de crasse, une odeur piquante me prend les narines, j’éternue.

- A vos amours.

Mon guide se retourne et me gratifie d’un large sourire, elle est bien parée, est-ce pour moi ou pour les clients?

- Le nom de votre établissement est tout un programme.

- Que voulez-vous dire?

- C’est le nom Grec de l’île de Cythère.

- J’ignorais... ce que vous êtes cultivé dans la presse, j’avais vu cette enseigne à Casablanca, au Maroc, le nom sonne bien, il me plaisait... Cythère, je vois à ce que vous pensez, mais attention, ne vous y trompez pas monsieur Laurent, je ne dirige pas un bar montant, mon établissement est un endroit chaleureux qui favorisent les rencontres.

- Rencontres d’hommes avec des femmes qui veulent arrondir leurs fins de mois.

- Boucler leurs fins de mois, de nombreuses femmes sont au chômage et dans le besoin, pour elles c’est la providence, soyez réaliste.

- Vous êtes une annexe de l’ANPE en quelque sorte, et même une bienfaitrice de l’humanité.

Mimi me fait asseoir sur un fauteuil bien fatigué dans lequel je m’enfonce profondément. Elle s’installe sur un canapé proche et allume une cigarette. Je remarque un léger tremblement des mains.

- Quelle affaire à Lannois, Louis Girard doit meugler en tôle, je me doutais que c’était de son côté qu’il fallait chercher, à vrai dire, j’étais au courant des histoires de la petite Marie, Maurice, le handicapé, grillé dans la grange, il avait été son amant il y a quelques années, il se pourrait même qu’il soit le père du pauvre gosse.

- Et vous pensez que la mort brutale de ce Maurice pourrait avoir un rapport avec cette ancienne liaison?

- Possible, Maurice devait savoir pour le bébé et il faisait peut-être chanter le gros porc de Girard.

Mimi a une attitude qui me laisse supposer que sa version est tronquée.

- Allez dites-moi toute la vérité.

La tôlière écrase nerveusement sa cigarette.

- C’est de ma faute, Louis ignorait le nom du père jusqu’à l’an dernier...il venait me voir de temps en temps, quand il passait à Nantilly, comme une imbécile je lui ai lâché le morceau, je pensais qu’il n’avait plus envie de se venger, malheureusement, à peine huit jours après, Maurice était victime de l’incendie.

- C’est à la gendarmerie qu’il faut  raconter cette version.

- Vous croyez? je n’ai pas l’habitude de fréquenter ces gens-là.

- Vous attendiez que Girard soit à l’ombre pour vider votre sac.

- La frousse, Armand Mangoni, Maurice, Fabien, sans compter le petit innocent, Louis m’aurait fait la peau à moi aussi...si vous pouviez juste aiguiller les enquêteurs, surtout en mémoire du brave Maurice, et ne pas parler de moi surtout, je vous en serais reconnaissante.

Mimi n’a qu’un argument pour convaincre, le bord de sa jupe remonte lentement mais sûrement, l’échancrure de son corsage s’élargit. Dans ce décor suranné de boui-boui Macanéen, avec cette lumière tamisée par un chinois, les effluves exotiques et les yeux bridés de l’hôtesse, je comprends que le pékin se fasse plumer.

- Je compte sur vous, revenez me voir une autre fois, sur le coup de deux heures de l’après-midi, nous aurons plus de temps pour... bavarder.

 

La révélation de Mimi ne surprend pas l’adjudant Gobert.

-Nous nous doutions que Girard avait commis d’autres crimes, il a avoué pour le nouveau-né mais nie farouchement pour les Mangoni, nous allons le cuisiner au sujet de Maurice, il arrivera bien à craquer.

 

L’invitation de Mélodie me surprend, alors que j’attendais sa visite et celle de Caro sa fameuse copine, la petite Lemoine me demande de passer au Haut-Château.

- Les événements que nous connaissons ont créé un drôle de climat à la ferme, maman est en état de choc, elle a besoin de se confier à un homme comme vous, d’être écoutée, mon père se bouche les oreilles, Arnaud  est trop superficiel, quant à Norbert le pauvre, n’en parlons pas.

Annie Lemoine feint la surprise en me voyant mais sa tenue vestimentaire et son maquillage sont certainement en mon honneur. Pantalon noir moulant, chemisier blanc qui met en valeur une poitrine avantageuse, petites bottes, la fermière a fière allure.

- Mélodie est au téléphone, ces jeunes peuvent tenir des heures à bavarder ainsi, je n’y arrive pas, je préfère avoir mon interlocuteur ou...trice en face de moi, que voulez-vous chacun son temps...elle vous avait promis une visite de notre exploitation, si vous m’acceptez comme guide, je suis à vous.

Le sourire qui ponctue la fin de la phrase ressemble à celui de sa charmante fille.

Nous nous dirigeons d’abord vers des bâtiments aux murs de briques.

- Les derniers vestiges de l’ancienne ferme, certains murs datent du seizième siècle, les pavés du sol sont encore plus anciens. Cette ferme était une dépendance d’un château entièrement détruit au dix huitième, vous avez vu les tas de cailloux à l’entrée. D’après un instituteur du village, le domaine englobait l’ancienne menuiserie et le moulin, il y avait également une tannerie et une fromagerie, une centaine de personnes travaillait et vivait avec leur famille au Haut-Château, c’était un vrai village.

La visite se poursuit par les écuries où deux vieux chevaux terminent leur vie.

- Nous les gardons par nostalgie, ils mourront ici.

J’attendais le moment ou l’hôtesse allait parler de l’actualité, nous avions contourné les granges, Annie m’invitait à m’asseoir sur un banc.

- Voyez comme c’est beau et tranquille.

Nous dominions la vallée de la Livette, à droite le village s’étalait, modestement dominé par un clocher arrondi.

- Une messe par mois et les enterrements, à quand la fermeture définitive de l’église, c’est triste, j’ai toujours vécu à Lannois, je n’ai rien connu d’autre...Louis est un travailleur, un homme de la terre, rude et frustre, il menait mes parents par le bout du nez, papa était un faible, maman adorait son fils. Avec moi il se comportait comme si ma vie lui appartenait, quand j’étais jeune fille, il menaçait les prétendants et je me suis mariée avec Yves un peu par dépit, comme c’était notre cousin, Louis avait accepté. Le malheur est arrivé en même temps que Norbert, bien vite nous nous sommes rendus compte qu’il ne serait jamais comme les autres, pour moi c’était une punition imméritée... heureusement les deux autres sont les soleils de ma vie...Quand Arnaud est venu au monde, Louis a vite compris qu’Yves  n’était pas le père, il  voulait  supprimer mon fils, quel monstre, heureusement mon mari a été plus raisonnable...ensuite Mélodie, ce fut encore pire, il avait deviné que le père était...Armand Mangoni...

Madame Lemoine se tait, sa confession est une accusation précise, ce n’est pas mon rôle de savoir si elle a été témoin de l’assassinat de son amant.

- Pourquoi me faire ses confidences?

- Nous allons vivre une période très difficile, Louis n’avouera pas tout de suite le meurtre d’Armand et je vais être questionnée, toute notre famille va être montrée du doigt, nous allons subir des contraintes et des atteintes, vous le savez monsieur Passy, vous connaissez le processus...J’aimerais que vos articles soient modérés et surtout que mes enfants restent en dehors de tout ce remue-ménage.

- Je ne serais pas le seul, d’autres journaux vont s’intéresser à cette affaire, la télévision également, elle s’y intéresse déjà.

- Je sais, malheureusement, mais votre quotidien est une institution dans nos campagnes, vos papiers concernant notre famille vont être lus et relus, commentés, découpés, conservés.

Annie est réaliste, les affaires criminelles débordent largement le cadre des protagonistes, l’entourage est  touché et j’ai souvent constaté les dégâts occasionnés par des excès ou des extrapolations.

- Je vais être vilipendée, considérée comme l’instigatrice du crime...des crimes.

- Vous pensez que votre frère est également responsable de la mort du fils Mangoni?

- Fabien avait peut-être trouvé des indices le menant  sur sa piste ?

 

- Concernant Marie, vous étiez au courant?

- Je savais que la gamine était enceinte, Louis nous a fait croire que l’enfant était mort-né, nous sommes complices et même coupables d’avoir étouffé cette triste histoire.

Les yeux d’Annie restent secs mais son visage est comme tétanisé, les rides se sont creusées,  cette femme doit terriblement souffrir.

 Notre promenade est terminée, je viens de pénétrer chez les Lemoine, dans une grande salle où trône une cheminée surmontée de trophées de chasse.

- Votre mari est chasseur?

- Il l’était mais il a abandonné, beaucoup de chasseurs actuels n’ont pas grand chose à voir avec les anciens, ils chassent souvent pour tuer.

La conversation téléphonique est terminée, Mélodie nous rejoint; elle n’est pas aussi pétillante que d’habitude, le syndrome de la culpabilité familiale a commencé son œuvre.



06/04/2011
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