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Le moulin des ombres

- Je viens de faire connaissance avec l’épouse du maire de Lannois.

- Elle vous a fait du charme?

Je narre les circonstances de notre rencontre à l’adjudant Gobert avant de lui parler des Delvaux.

- Tant que la gamine s’en tire avec des égratignures... elle est imprudente et dangereuse, je l’ai déjà sermonnée mais on ne peut rien  lui dire, une têtue la petite demoiselle ... jolie fille aussi.

- Elle ressemble à son frère Arnaud.

- Normal, ils sont... frère et sœur, je dis des âneries, tout le monde est au courant...ces deux enfants ne seraient pas d’Yves Lemoine, Norbert le premier, oui. Annie et Yves sont cousins germains, leur union consanguine a donné un triste résultat.

- Et qui serait le vrai père?

- Je ne suis pas concierge, allez donc questionner les gens de Lannois, ils ont peut-être leur idée sur le sujet...Nous avons les résultats des études faites sur le ciment, il contient un additif employé seulement à partir de 82, une sorte d’antigel qui n’existait pas avant. Le petit crâne annonce  81 à 84, voyez, la fourchette est resserrée, nous avons commencé une enquête mais le capitaine demande de ne rien dire pour le moment afin ne pas entraver les investigations.

- Et si l’infanticide avait un rapport avec les deux crimes?

- N’allez pas si vite dans vos conclusions, l’endroit pour se débarrasser de cadavres, petits et grands est idéal.

- Du côté du grand justement?

- Aucun signe distinctif, ce mort n’a jamais eu la moindre opération, aucun accident préalable, aucune fracture, c’est tout de même rare de nos jours.

- J’ai un petit supplément à vous offrir.

Mon résumé sur les déclarations de Delvaux fait bondir l’adjudant.

- Pour qui se prend ce ravaleur de façades, le capitaine Verlet aura vite fait de le convoquer, je l’alerte immédiatement.

- Soyez diplomate, je lui ai promis.

- Il nous faut retrouver ce chauffeur de taxi, vous avez  d’autres précisions.

- Je suis journaliste, je récolte spontanément.

- Oh! ça va, ne me faites pas le coup du type clean...Et Marianne Mangoni, vous l’avez revue?

- Je vous ai parlé d’elle?

- C’est elle qui nous a parlé de vous, de votre rencontre romantique au bord de l’eau, vous lui avez tapé dans l’œil. Elle est déboussolée, c’est naturel, de mauvais souvenirs qui remontent à la surface, si vous avez un peu de temps libre allez lui rendre visite, cela la fera patienter.

- Elle attend que vous lui rendiez le corps de Fabien.

- Nous lui avons pourtant dit que cela pourrait durer encore quelques jours, elle ne veut plus bouger malgré nos conseils...et la casquette...Norbert Lemoine sans doute, sa présence autour du moulin serait logique, ce garçon est comme les animaux sauvages, il ignore les limites, les clôtures, il vit dans un univers à part, fuit les autres humains. J’ai interrogé le médecin des Lemoine, il m’a donné son avis. Il estime que Norbert n’est pas réellement dangereux mais que certaines pulsions pourraient le conduire à des extrémités, et puis il est très dépendant de sa mère, elle le couve, elle pourrait lui donner n’importe quel ordre, il l’exécuterait, voyez où je veux en venir?...j’avertis le capitaine Verlet, nous n’allons pas tarder à rendre visite à vos amis Delvaux, à plus tard.

 

J’obéis à la demande de Gobert, poussé par je ne sais quelle envie réelle que je voudrais n’être que professionnelle mais je me le demande vraiment. Revoir Marianne Mangoni pour lui remonter le moral? Allons donc, je suis un homme normalement constitué,  l’épisode Mélodie a réveillé des instincts que je ne tiens pas vraiment à repousser, c’est toujours l’éternelle lutte entre le respect de certaines conventions et la liberté d’action. Je gare ma voiture sur le parking de l’hôtel du commerce en continuant à me poser des questions et en repoussant les réponses. La Clio immatriculée dans le département d’origine du foie gras et de l’Armagnac réunis est présente.

- Mademoiselle Mangoni est sortie, elle m’a demandé où se trouvait le bureau de poste, depuis une demie heure environ, puis-je lui laisser un message?

Un peu endormi le portier, il doit faire le jour et la nuit. La poste est proche, seulement les boutiques sont nombreuses sur le parcours, la vitesse des dames marchant en ville est proportionnelle à l’attraction exercée par les vitrines. Quand j’arpente la rue Debussy avec Martine, je dois marquer de nombreux temps d’arrêt, revenir sur mes pas, je crois que je vais abandonner ce genre de promenade. Et Marianne  doit faire la queue à la poste, voilà une administration qui devrait embaucher, il est courant de ne voir qu’un guichet ouvert sur deux, et encore.

Je sors, en face de moi se dresse la gare ferroviaire et son drôle de clocher, pour combien de temps encore l’horloge indiquera l’horaire des trains ? les omnibus se raréfient, les express sont pressés et ne s’arrêtent plus. Et l’on s’étonne de la désertification des campagnes et de l’agglutination autour des grandes villes.

Deux taxis sommeillent sur leur emplacement réservé.

- Monsieur Laurent, qu’elle bonne surprise!

Ceux qui me hèlent en utilisant mon prénom comme patronyme sont généralement de vieux lecteurs, c’est ainsi que je signais  quelques billets d’humeur à mes débuts, c’est terminé maintenant, trop de grincheux qui soit en rajoutaient, soit se sentaient directement visés? Chaque parution donnait lieu à un paquet de lettres anonymes, à une flopée de coups de téléphone.

Le chauffeur de taxi qui sort de sa Volvo ne m’est pas inconnu, il a témoigné récemment en cours d’assises.

-Voyez je suis en pleine lecture de votre canard, la page des courses, ce n’est pas votre rayon, heureusement pour vous, je vous aurais passé un savon, votre collègue est à côté de la plaque en ce moment, il ferait bien de changer d’informateurs.

- Je croyais que dimanche dernier, il avait donné le tiercé dans l’ordre et le quarté dans le désordre.

- Un rapport minable, et il s’en vante, remarquez c’est duraille en ce moment, Deauville c’est l’hippodrome des coups fourrés, les toquards se sentent pousser des ailes et les favoris boitent, il faudrait jouer au pif, ou savoir si un proprio est présent avec son harem... Alors l’assassin, finalement il s’en est bien tiré, que pensez-vous de ma déposition?

- Sobre et claire.

Je mens, car comme trop souvent, les témoins à charge bafouillent tellement quand ils se trouvent à la barre  devant des juges qui les dominent que les témoignages perdent leur spontanéité,  leur crédibilité; et les avocats de la défense en profitent, eux ne présentent souvent que des témoins bien préparés.

- Et le criminel de Lannois, celui qui accroche des meules au cou des victimes, il sera bientôt à l’ombre?

- En revenant sur les courses, de Lannois à la gare, en début d’année?

- Oui, deux clients, l’assassin et la victime...je vous fais marcher, j’ai deux clientes régulières, deux vieilles dames inoffensives.

- Et vos collègues?

- Bruno ! arrive.

L’autre chauffeur prolongeait sa nuit, il sort en baillant et en s’étirant.

- Putain, si ça continue je vais à la pêche, tu as vu à l’arrivée du train de onze heures, peu de monde et tous des piétons.

- Avec ce beau temps, tout le monde marche, toi qui parle au bon Dieu, commande de la flotte...un client depuis le moulin de la Brèche jusqu’à la gare, en début d’année, ça te dit quelque chose?

- Non, faudrait demander à Gérard, il fait le coin de Lannois, il adore la route en lacets, il est sur Nantilly, il promène un industriel qui cherche un site pour s’implanter dans le secteur, il devrait revenir pour midi.

Je guettais le passage pour piétons et  voyais arriver Marianne.

- Dites à ce Gérard que j’aimerais lui parler, je déjeune en face.

- Il pourra vous déranger?

- Je suis toujours en service.

- Avec quelques moments agréables je vois.

 

- Vous êtes ici par hasard?

- Oui et non, c’est en arrivant ici que j’ai pensé à vous.

- Merci pour votre franchise, moi qui croyais...

- Vous auriez pu me téléphoner.

- Pour vous dire quoi, je suis rétrograde, je serais  incapable de faire les premiers pas vers un homme, à plus forte raison vers un inconnu.

Plus fraîche qu’au bord de la Livette, la fille du menuisier, maquillage léger, pommettes un peu plus colorées, mais toujours ce voile de tristesse dans ses yeux de velours.

- Vous pouvez m’attendre au salon, je reviens de suite.

Rétrograde mais sachant comment séduire un homme, elle portait une robe sans relief, elle redescend vêtue d’un ensemble léger de bonne coupe. Depuis que Martine a ouvert une boutique de mode, je suis devenu expert es-fringues féminins, mes incursions au milieu de ses clientes en transformations continues m’ont affûté dans ce domaine. Il m’arrive d’être sollicité pour donner un avis sur la couleur ou la forme d’une robe, certaines clientes affirment que j’ai un jugement sûr. Si un jour je suis viré du journal, je pourrai me reconvertir.

- Je peux vous inviter à déjeuner?

- Vous m’avez prise de vitesse, c’est moi qui aurais dû parler la première et ma phrase n’aurait pas été interrogative.

- J’ai gagné, je vous accorderai une revanche.



23/03/2011
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