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Le moulin des ombres

Je roulais doucement, ressassant le récit de Delvaux, essayant de trouver une faille éventuelle. J’étais bien à ma droite et cet abruti de motard se présentait face à moi à la sortie d’un tournant. Pourvu qu’il soit encore en bon état après la pirouette qui vient de le propulser dans les buissons, lui et son engin a deux roues, il a fait un écart en m’apercevant, un écart fatal.

Je descends le talus, le motard bouge, c’est bon signe, je le soulève et tente de le remettre sur jambes, c’est un poids plume ou alors je suis survolté. L’accidenté émet quelques grognements plaintifs, je le remonte sur le bord  de la route, son casque intégral masque son visage. Il ne tient pas debout, flageole et me retombe dans les bras, je l’assieds sur la berme et l’aide à retirer son casque.

 Elle s’ébroue et de jolis cheveux bruns et bouclés se libèrent et roulent en cascades sur sa combinaison.

- Comment vous sentez-vous mademoiselle?

-  ...Aie...j’ai vachement mal à la jambe.

La motarde me désigne l’intérieur de son mollet droit, la jambière est déchirée sur quelques centimètres, une tache rouge s’est formée.

- C’est le guidon de ma moto, j’ai mal l’épaule aussi, aie...

Je suis maladroit, ne sais comment soutenir la petite demoiselle, je devrais prendre des cours de secourisme.

- J’ai des mouchoirs en papier dans la poche, dans celle-ci.

Je fouille et extirpe difficilement un paquet de mouchoirs, j’éponge le sang, la plaie est modeste, un petit trou, mais le sang coule abondamment.

- Vous avez un sang fluide, tenez la main appuyée, je dois avoir des pansements dans mon vide-poche.

Plaisant de jouer les infirmiers avec une aussi jolie patiente, j’ai élargi la déchirure de la combinaison, je pose un sparadrap sur l’intérieur d’une cuisse à la peau délicate; la jeune fille a entrouvert son vêtement protecteur, une odeur corporelle agréable me chatouille les narines.

- Voilà, je vais pouvoir vous conduire à l’hôpital.

- Inutile, vous me ramenez chez moi, tout va bien.

- Vous auriez du faire attention cette route est dangereuse, propice aux mauvaises rencontres.

- Et ma moto ?

La jeune fille se lève et fait quelques pas.

- Ca me brûle, qu’avez-vous mis sur le pansement...j’ai mal le petit doigt, sentez il est tout chaud.

Je prends délicatement sa  main, effectivement l’auriculaire est brûlant.

- Cassé peut-être, voyez il vous faut des soins.

- Maman est un peu infirmière, elle me soignera...vous croyez qu’elle est foutue.

La moto gît en contrebas, sa roue avant fait une vilaine grimace, le reste semble sauvé.

- Où habitez-vous?

- Il faudrait la remonter.

- Vous plaisantez, elle est un peu lourde pour moi.

La victime me toise, c’est déplaisant, un tel engin doit dépasser plus de cent kilos et il est coincé dans les branchages.

- Où j’habite ? à Lannois, à la ferme du Haut-Château, je vous indiquerai le chemin...pourvu que personne ne l’embarque.

- Elle est invisible de la route...le Haut-Château, c’est la ferme de monsieur le Maire.

- Je suis sa fille, et vous?

Une rencontre pour le moins originale, un moyen pour pénétrer dans la citadelle des Lemoine, le hasard fait souvent bien les choses, je me présente rapidement.

- Excusez-moi je  lis rarement les journaux, mais  je suis tout de même au courant des événements, papa m’a parlé du type noyé, certainement Fabien Mangoni. Je me souviens à peine de lui, j’étais toute gamine quand il a quitté le village, je connais la maison, et l’atelier de menuiserie, Arnaud a été à l’école avec lui, il pourrait vous en parler...prenez tout de suite à droite, il faut éviter de passer devant la ferme de mon oncle, si il me voyait avec vous...c’est un dingue...prenez le pont et tout droit.

Une sorte de donjon ou de tour marque l’entrée de la ferme.

- C’est tout ce qui reste d’un château féodal qui s’élevait à cet endroit, un tas de pierres, et encore, beaucoup de pavés ont servi à l’édification du mur d’enceinte.

Un muret de pierres sèches épouse le vallonnement et se perd à l’horizon.

- Ma muraille de Chine, quand j’étais gosse, je courais sur le sommet de cette clôture, au risque de me casser une jambe.

- Maintenant vous avez votre Honda pour effectuer des cascades.

- Vous vous y connaissez en moto, vous aviez vu la marque?

Je roule au pas, notre discussion est branchée sur un sujet qui passionne ma passagère, je parle de mon père et de sa grosse Norton, un monstre pétaradant, des promenades mémorables, assis à califourchon sur le réservoir, le nez au vent.

- Je voulais une Harley, les hurlements de ma mère devaient s’entendre dans le village, j’ai renoncé à cette folie...pour le moment...mais si la Honda est morte.

Nous continuons à bavarder alors que nous sommes arrivés devant une grande bâtisse toute en longueur. Une vigne vierge masque une grande partie d’un mur en pierres apparentes, des fleurs sur les rebords de fenêtre, d’autres envahissent deux grandes vasques. Sur la droite se dresse un marronnier énorme  aux branches qui touchent terre, plus loin un immense hangar métallique fait comme une tache d’ombre dans le décor.

Une dame sort du logis.

- Maman... laissez-moi lui expliquer, elle est soupe au lait.

- Votre prénom?

- Excusez-moi, Mélodie, pas Elodie, M..élodie avec un M comme dans...amour.

Le sourire mutin que Mélodie m’adresse accélère mon pouls, que les filles de cet âge sont agaçantes, elles s’y entendent pour vous allumer.

Madame Lemoine secoue la tête et fait de grands gestes, sa fille prend certainement un sérieux savon,  puis, rapidement les deux femmes s’embrassent. Encore des paroles échangées, elles parlent probablement de moi car la maman se dirige vient vers ma voiture. Elle est en pantalon, des cheveux châtains un peu plus courts que ceux de sa fille mais aussi bouclés, beaucoup d’allure.

- Vous êtes monsieur Passy, Mélodie vient de me raconter l’histoire, votre voiture n’a rien j’espère?

- Non, votre fille s’est affolée et ne m’a pas touché.

- Elle me rend malade chaque fois que je la sens sur les routes,  trop dangereuse cette machine...nous allons là récupérer tout de suite, elle pourrait disparaître.

- Elle est dans le fossé, il faut du monde pour la remonter, je retourne sur place pour vous aider.

- Non, nous avons un garçon solide dans la famille, aucun problème, merci encore, nous aurons peut-être le plaisir de nous revoir...Mélodie, viens saluer ton sauveur.

Je suis  proprement viré.

Je roule doucement en sortant du domaine, je viens à peine de franchir le pont quand je suis doublé par une fourgonnette et un nuage de poussière, si c’est Annie Lemoine qui conduit elle n’a aucun reproche à faire à sa fille.

Je débouche du dernier tournant juste pour apercevoir la Honda s’engouffrer dans la camionnette, soulevée par un colosse que je ne distingue que de dos. Certainement le fameux Norbert, il se glisse dans la caisse et referme les deux battants aussitôt. Voilà un gaillard parfaitement capable de porter des Mangoni et des meules.

A mon passage, madame Lemoine me fait un petit signe de la main, Mélodie échappe à ma vision.

C’est en arrivant à la gendarmerie que je remarque, posé sur le siège arrière, le casque de mademoiselle Lemoine. Ce n’est pas demain qu’elle va remonter sur sa moto, je vais attendre qu’elle se manifeste.



21/03/2011
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