Le moulin des ombres
- Monsieur Passy, déjà! Mes collègues de la brigade autoroutière n’étaient pas aux aguets, vous avez probablement commis quelques excès de vitesse.
L’adjudant Gobert m’accueille.
- Je suis toujours respectueux des règlements, voyez j’arrive même à pieds.
- Les Delvaux vous ont permis de traverser leur enclave, vous avez de la chance, c’est vrai que vous êtes bien vu dans la presse...le pouvoir médiatique.
Le plongeur vient de disparaître, de grosses bulles remontent et crèvent à la surface d’une eau peu engageante.
- Nous voulons savoir ce qui se trouvait à l’autre bout de la corde, en supposant que l'immersion a bien été effectuée ici, mais, plus en amont, la rivière est peu profonde, et puis à cet endroit, il y a un plongeoir.
- Vous avez identifié le noyé?
- Non, aucun papier sur lui et nous n’avons reçu aucun avis de disparition les mois derniers dans le secteur, le visage de la victime est dans un tel état que l’identification sera difficile, nous attendons le rapport du légiste.
- Les indices troublants que vous avez évoqués ?
- Vous ne perdez jamais le fil, notez, tout d’abord, une plaie sur la tempe gauche, mais qui pourrait éventuellement avoir été provoquée par un heurt avec le rebord de la maçonnerie.
- Un désespéré bien maladroit, la baignoire est assez large.
- C’est également notre avis, autre chose, la corde au cou, une mort par étranglement est envisagée, l’absence d’eau dans l’estomac prouverait que l’homme était déjà occis quand il a plongé.
- Et lors de la précédente affaire, les conclusions étaient les mêmes?
- Pas tout à fait, il faut bien avouer qu’il y a onze ans, les analyses étaient moins pointues que maintenant.
- La date de la mort?
- A l’étude, d’après les premières constatations, moins d’un an.
Un homme s’approche de nous, un appareil photo à la main, je suppose qu’il s’agit du correspondant local, Benoît le photographe du siège étant en congé, nous avons demandé à cet auxiliaire de venir sur place.
C’est bien lui.
-J’ai déjà pris des photos du bief.
-Prenez quelques vues d’ensemble puis vous prendrez le plongeur quand il remontera, merci d’envoyer le tout à l’agence du secteur qui nous transmettra.
Un remous important, puis une masse grise remonte des profondeurs, prend de l’ampleur, comme de gros nuages dans un ciel déjà gris. Le scaphandrier émerge, il est promptement hissé sur le bord, il enlève son masque.
- Beaucoup trop de vase, une couche épaisse, plus d’un mètre, impossible d’atteindre le fond, regardez le travail, j’ai à peine touché cette merde.
Sa combinaison est dans un triste état.
Le chef des Sapeurs-pompiers intervient.
- Une seule solution, il faut vider le bief.
- Nous avons besoin de l’autorisation du propriétaire, prendre contact avec les services de l’équipement, avertir les riverains situés en aval, la masse d’eau retenue ne peut être lâchée d’un seul coup... Terminé pour aujourd’hui messieurs, excusez-nous monsieur Passy, vous vous êtes déplacé pour rien.
- Vous pouvez me parler plus longuement du premier noyé assassiné?
-Si vous avez le temps, passez à la brigade, d’ici une petite heure, nous en parlerons... et faites attention en traversant le domaine Delvaux, cet endroit est dangereux pour les jeunes hommes réputés sérieux.
Je comprenais l’allusion de Gobert en retrouvant madame Delvaux, la tenue champêtre a fait place à une robe courte, vaporeuse et transparente. Le haut laisse deviner l'anatomie de la poitrine. Des seins qui méritent l’honneur d’être exposés, d’un galbe parfait, ils sont aussi d’un excellent maintien. A l’aller, je donnais quarante cinq ans à la dame, elle vient d’en perdre une dizaine. Elle sait quel effet elle peut produire sur un homme normalement constitué, en prime, elle m’accorde un sourire mutin, encore une allumeuse qui aime tester ses capacités de séduction.
- Ils abandonnent les recherches, c’est trop profond je suppose.
- Non, beaucoup trop sale.
- Des lustres que ce chenal est dans cet état, je n’ose imaginer les immondices qui doivent être bloqués contre les vannes, les paysans du coin vident n’importe quoi dans la rivière... Je peux vous offrir un rafraîchissement monsieur Passy?
- Je suis assez pressé, j’ai un rendez-vous.
- Cinq minutes, Sultan est tellement heureux de votre visite.
Le chien est dans le même état que lors de mon arrivée, il s’est enhardi, se frotte contre mes jambes, quête des caresses que je lui accorde. Sa patronne aurait-elle envie de partager sa liesse? Le danger promis par le gendarme se précise.
- Venez par ici.
Nous traversons une galerie vitrée envahie de fleurs exotiques et de plantes grasses, débouchons sur une terrasse couverte précédant une magnifique piscine aux eaux transparentes. Voilà l’endroit idéal pour faire de la plongée sous-marine, sans masque ni bouteille, un constraste avec l'opacité du bief. L’hôtesse me sert ma boisson préférée, elle en profite pour me frôler et son parfum picote mes narines délicates ; des effluves tout de même un peu forts pour moi, je suis sujet aux vertiges dans ce cas de figure.
- Vous ne vous souvenez pas de moi?
J’avoue qu’effectivement, je ne reconnais pas cette charmante dame qui elle, m'avait identifié.
- Je suis impardonnable, pourtant, une aussi jolie femme que vous ne devrait pas s’oublier.
Ma galanterie est récompensée, madame Delvaux minaude, dévoile une plus grande partie de ses cuisses dorées. Je subodore que le bronzage est intégral, la piscine est protégée par de hauts murs et il faudrait se camper sur les hauteurs avoisinantes avec de puissantes jumelles pour entrevoir un corps allongé au soleil.
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