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Le grand verger (suite et fin)

Je suis à l’heure, ma princesse aussi, un petit baiser rapide et au grand galop vers le château.

- Tu as froid, tu gardes ton manteau ?

- C'est vrai, il fait bon chez toi.

Et comment, j’ai chargé le fourneau du bas avec de bonnes bûches de charme, l’air chaud monte vers le deuxième.

 

- Mais ...tu n’es pas Hélène...

 

Ses réticences pour se mettre à l’aise, sa façon de parler, son baiser timide… un coup d’œil rapide vers l’intérieur du genou droit avait confirmé mon impression.

-Tu m’en veux Olivier ? Je t’aime, depuis que je t’ai rencontré je ne pense qu’à toi.

 

J’entends une drôle de musique, nous devons être au paradis, avec les anges, Isabelle reste blottie contre moi, que c’est bon. Nous restons une éternité immobiles, je sens son cœur battre contre ma poitrine, son souffle me caresse, je ressasse dans ma tête tous les vers glorifiant l’amour, rien n’est assez fort pour exprimer mon bonheur.

Hélène? Elle serait déjà prête à me quitter, habillée et recoiffée, quelle différence!

Tout paraît naturel, Hélène joue les innocentes, comme si rien ne s’était passé entre nous. Roger et Brigitte avouent qu’ils connaissaient d’avance le scénario, ils avaient tout compris la nuit de Noël, lorsque qu’Isabelle d’ordinaire si imprégnée de sa foi avait lancé des regards fréquents vers la droite, vers le banc des Montcy.

 

Les vacances passent trop vite mais je reviens chaque dimanche et jours fériés, les jumelles aussi. J’ai de l’occupation, visites à la scierie qui fonctionnera comme prévu début mai, longs séjours dans le donjon où le troisième étage voit deux étudiants sages travailler sérieusement et où le deuxième voit des amoureux s’aimer follement. Un rayon de soleil et c’est le grand verger qui nous accueille, Isabelle adore ce lieu paisible, Vincent a pris le temps de  fabriquer un banc de chêne à notre intention. Je m’intéresse à  la photographie,  je prends Isabelle sous chaque arbre du verger, je lui demande même de porter le chapeau au ruban tronqué, chapeau qui lui va à merveille. Nous récupérons d’anciennes photos que nous classons et répertorions.

- Qui est cette dame avec mon chapeau? Et dans le verger, regarde le cabanon derrière.

- Montre... c’est maman, tu ne la reconnais pas, la photo date de 1941.

- Encore ta maman avec le même chapeau.

Cette fois la date portée au dos est différente: 1947. Mais la plus grande différence réside dans la longueur du ruban, il a été coupé entre les deux photos, l’auteur de cette mutilation  ne peut donc pas être mon père comme je l’avais supposé et surtout voulu le croire.

 

J’explique à Isabelle le cheminement de mes pensées.

- C’est insensé, ta mère et ton grand-père?...et puis après tout pourquoi pas.

Isabelle la prude me donne la leçon, pourquoi pas en effet, je comprenais les paroles de Jacqueline «  ne cherche pas trop loin »

Le morceau de ruban, je le rends discrètement à sa véritable propriétaire, subrepticement le message est reçu car la relique disparaît sans commentaires. Je me garde d’en parler mais, pendant plusieurs jours, maman affiche un air bizarre, elle se tient sur la défensive, comme si elle craignait mes questions, des reproches. Au contraire, je me montre plus tendre avec elle, je veux lui faire comprendre que je n’ai aucun jugement à formuler sur sa conduite, ou alors ce jugement serait plutôt favorable. Je découvre que l’existence terrestre doit être menée sans analyser logiquement chaque événement car la vie elle-même est illogique. L’égoïsme est une vertu indispensable pour tenir le choc face aux aléas et quand cet égoïsme se partage c’est encore mieux. Grand-père m’avait choqué un jour en me confiant ses pensées  « le bonheur c’est d’abord d’être heureux soi-même, égoïstement, quand on est heureux, on peut apporter du bonheur autour de soi »

Je voulais parler de ma découverte à Béatrice, elle m’a rapidement fait comprendre qu’elle savait et qu’elle n’avait rien à dire sur un tel sujet. Tout comme Alice qui finalement l’avait avoué à Charles afin de mettre un terme à cette histoire de bague disparue. Les réflexions acides, les remarques désobligeantes que mon oncle adressait à maman ont été converties en paroles aimables et geste déférents. J’étais donc dans la droite ligne de toute la famille, et quand maman a annoncé qu’elle était invitée à passer plusieurs jours en Suisse, comme les autres membres de la famille, je savais que c’était pour retrouver Laurent Channaz.

- Une quinzaine de jours, cela ne t’ennuie pas? Nous aurons les prochaines grandes vacances pour être ensemble.

Elle m’avait déjà parlé d’un changement d’air, je crois surtout qu’elle avait envie d’une certaine musique.

 

J’étais tellement peu disponible pendant les grandes vacances que pour ne pas s’ennuyer, maman invitait Laurent à la maison. Charles avait fait un peu la grimace en apprenant cette venue.

- Que comptez-vous faire dans l’avenir, avec ce monsieur?

- Dois-je vous rendre des comptes ?

J’avais été surpris d’une telle réplique mais, après quelques jours de présence à Labréville,  Laurent Channaz et maman avaient annoncé leur intention de se marier.

- Et tu vas quitter le château?

- Nous viendrons passer nos jours de congé ici, je vais seconder Laurent, il vient d’ouvrir un cabinet d’avocat d’affaires, en Suisse, le travail ne manque pas dans ce domaine.

Les études de droit que maman avaient suivies vont enfin lui servir, son bonheur contribue à me rendre heureux, grand-père avait raison.

 

Isabelle et moi menons une opération délicate, elle a réussi  son bac et vient de s’inscrire à la fac de lettres de l’université de Nancy, tout comme Hélène; seulement le couple Durieux tenait à louer un appartement pour les deux jumelles alors que nous leur suggérons de louer un studio uniquement pour Hélène, j’ai suffisamment de place chez moi pour héberger Isabelle. Rude bataille, Roger se montrant le plus réticent; finalement et je crois que le petit coup de pouce inespéré de Charles a été déterminant, le dernier bastion se rend.  

 

La scierie tourne bien, j’ai passé de nombreuses heures sur le site, j’aime l’odeur du bois, le bruit des scies, je suis allé en Allemagne avec Roger, nous avons décroché un contrat important avec un fabricant de meubles.

- Et si nous travaillions ensemble? Toi pour la partie commerciale et moi dans le technique, tu es doué pour les affaires, je préfère la fabrication.

La proposition de Roger me tente, je crois que je vais faire comme grand-père, ranger les tire-lignes et les équerres dans un tiroir, si j’ai un fils, je pourrai lui en faire cadeau, dans l’espoir qu’il devienne architecte. En attendant de faire mon service militaire, je dois perfectionner mon Allemand.

 Isabelle croit toujours en Dieu mais nous croyons surtout à notre bonheur. Quant à Hélène, ses velléités d’indépendance sont en train d’en prendre  un sérieux coup, elle commence à modifier son point de vue.

- La vie est difficile en couple mais elle est peut-être encore plus difficile à supporter seule.

 

 



14/01/2011
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