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Le grand verger (suite)

- Malgré sa petite taille et son aspect curieux, il arrivait à séduire, de mauvaises langues disaient que j’avais également succombé mais c’est faux.

Ma tante n’a aucune raison de se justifier, seulement son trouble apparent quand elle parle d’Albert me met mal à l’aise. J’ai de nouveau de vilaines pensées que je tente de chasser, maman? non, impossible, elle qui a tant pleuré papa. Me reviennent certaines paroles d’oncle Charles, un jour où il était en colère contre moi, que je lui avais soi-disant manqué de respect, il m’avait traité de fils de catin, j’avais couru vers le dictionnaire pour lire une définition qui me restait en travers de la gorge, j’avais même eu des idées de meurtre, je voulais venger l’honneur de ma mère, je devais avoir huit  ou neuf ans.

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- Ton oncle qui avait été fait prisonnier comme tous les soldats Français ou presque, est libéré en 41, mis au courant des agissements d’Albert, il trouve un moyen de l’évincer, il fait courir un faux bruit, affirmant que l’ancien colonial est atteint d’une grave maladie transmissible par simple contact, une maladie contractée au Sénégal ; rapidement c’est le mot lèpre qui revient sur toutes les lèvres, certains affirmant avoir vu les pieds du colonial rongés, atrophiés. Tu imagines la panique dans  Labréville, les dames qui l’avaient approché de très près s’affolent, quelques crises de nerf, même une tentative de suicide. Le résultat dépasse largement ce que Charles attendait,  Albert est insulté, vilipendé, menacé de mort par certains excités. Ton grand-père, encore maire à cette époque tient à rétablir le calme, il rencontre le perturbateur et lui demande de quitter la commune, l’autorisant à s’installer dans un ancien chalet de chasse partiellement détruit par l’explosion du dépôt de munitions, à la condition qu’il ne mette plus les pieds dans les rues du village.

- Mais Albert ne se défend pas ? il aurait pu consulter un médecin, se procurer un certificat pour prouver l’absence de cette maladie.

- Tu ignores dans quelle période nous vivons, la guerre, les restrictions, les boches chez nous.

- Il peut être fier ton mari, et les gens ont suivi.

- Albert disparu, la tension retombe, aucun cas de lèpre ne se déclare bien entendu et chacun espère que le colonial sautera sur un obus encore armé.

- Et Maria?

- Pour nous elle avait déménagé avec ses parents... attends la suite pour comprendre ma démarche d’aujourd’hui. En automne 43, un soir, nous recevons une visite inattendue, celle d’un officier Français qui avait connu Charles dans un camp de prisonniers, il n’avait pas eu la chance d’être libéré,  s’était évadé et avait rejoint de Gaule en Angleterre.  Parachuté dans le secteur afin d’organiser un réseau de résistance il venait  solliciter une aide de  ton oncle afin d’obtenir du ravitaillement et éventuellement des renseignements sur les mouvements militaires de la région, ton grand-père venait de démissionner de son poste de maire, il ne supportait pas la pression de Vichy, tu dois te souvenir de ces colères contre le régime, des papiers officiels qu’il avait brûlés dans la cheminée.   

J’avais encore en mémoire cette fameuse scène, une belle flambée qui avait failli mettre le feu dans le conduit de cheminée.

- Charles qui avait accepté de prendre la relève  a refusé tout net d’agir à l’encontre de l’occupant, prétextant qu’il avait la charge de gens sans défense et qu’il ne pouvait se compromettre.

- Un lâche ton mari.

- Ne juge jamais hâtivement, sa position était celle de nombreux responsables durant l’occupation, tout le monde ne peut se comporter en héros et puis son attitude servait d’amortisseur, n’oublie pas que  notre village était occupé en permanence ce qui était exceptionnel pour une petite localité.

- Les fermes réquisitionnées, les prisonniers et leurs gardiens.

- Nous avons failli avoir le chef de culture au château, ce Teuton  désirait loger dans une belle et confortable demeure, heureusement que la maison bleue était libre, je n’aurais jamais supporté la présence d’un boche sous notre toit... je te raconte la suite... si ton oncle déclinait la proposition du colonel,  moi j’acceptais.

- Et Charles était d’accord?

- Je profite de son absence, le temps qu’il aille chercher une bonne bouteille à la cave et je demande des précisions à l’officier. Il me dévoile l’adresse de l’un de ses points de rencontre, installé en pleine forêt, dans un endroit que je situe immédiatement, la cabane d’Albert; je lui promets de m’y rendre et de me mettre à sa disposition.

- Et alors?

- Et alors je me suis rendue sur place, j’ai retrouvé Albert et... Maria,  elle n’avait pas suivi ses parents, s’était réfugiée chez son amant à Pochères, elle était restée plusieurs mois enfermée, sans oser sortir ni même se montrer à la fenêtre, d’où ses problèmes de vue actuellement, belle histoire n’est-ce-pas ?

- D’où ta réaction d’hier soir.

- Et notre escapade de ce matin.

- Et tu as participé à la résistance?

- Indirectement et modestement, je collectais des victuailles que je faisais livrer le plus souvent par des bûcherons, le plus gros venait de nos clapiers et de nos poulaillers, sans compter quelques morceaux de veaux et de la cochonnaille, les légumes étaient fournies par Gaspard, le jardinier de Marois.

- Des renseignements aussi?

- Cela arrivait, surtout sur les mouvements de troupe et de munitions passant sur la ligne de chemin de fer, j’avais un informateur formidable, un spécialiste du guet.

- Un homme de Labréville?

- Naturellement, mais ne me demande pas son nom, même sous la torture je le tairais.

- Mais alors, tu étais  résistante et tu n’as aucune médaille, tu n’as jamais eu les honneurs le jour du huit mai comme...

- Comme certains résistants de la dernière heure, qui ont pris les armes le jour de la libération, ce sont eux qui paradent le plus actuellement, beaucoup d’autres n’ont jamais su que la France allait se libérer, ils ont été fusillés, tels le colonel Richard et son adjoint, ou morts au combat ou en déportation comme presque tous les vrais maquisards, j’en aurais à raconter sur cette époque.

- Albert était aussi un maquisard.

- Dans un sens oui, il prenait de gros risques, sa maison a servi d’abri en hiver,  de plaque tournante pour le ravitaillement, quant à la brave Maria, elle aussi a rempli un certain rôle, le repos du guerrier, tu as entendu parler du repos du guerrier, très important pour remonter le moral des troupes.

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30/10/2010
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