Le grand verger (suite)
J’ai envie de voir Albert, de lui parler de la résistance, de grand-père.
- Tu es seul aujourd’hui, tu ne trimballes pas ta chère cousine?
La barbe repousse vite dans les bois, l’humidité, la chaleur moite, et les cheveux, les roitelets pourraient y nicher sans peine.
- Elle a eu peur du casse-gueule la Montcy, avoue que tu a dérapé volontairement, ton père aurait capable de faire la même farce...tiens, viens voir derrière notre palace, une surprise...Maria, réveille-toi, le fils de Jean vient nous rendre visite, il ne peut plus se passer de nous...et apporte nous à boire...du pinard pour moi, plus que marre du cidre, toi aussi mon ami ?
Je ne vois pas tout de suite la surprise.
- Regarde les travaux, je creuse une cuvette, je capte l’eau de la source et je crée un lac, pour moi et Maria, pour les amis éventuellement.
Son lac sera aussi grand qu’une mare aux canards, il a décapé une partie du sol, une tranchée de deux mètres commence à s’élargir.
- Un sol glaiseux, je tasse bien le fond pour éviter les fuites, je vais avoir une eau claire, toujours renouvelée, mieux et bien plus grand qu’une piscine, tu viendras te baigner quand tu veux, avec une poulette, vous pourrez vous foutre à poil, ce sera comme sur la petite côte du Sénégal, vagues en moins.
Et chaleur aussi en moins...je vais avoir du mal à amener ce bavard vers les sujets qui me préoccupent.
- Ton grand-père? un brave homme...et en hiver, une patinoire, il en a dans le ciboulot le vieil Albert, t’as bien fait de lui sauver la vie...t’es bien un Montcy, tête de lard, ça ne s’invente pas...la guerre, c’est de l’histoire ancienne, plus tard, dans les bouquins lus par les petits Français, la résistance sera évoquée, on parlera des hommes qui ont combattu l’envahisseur, les armes à la mains, de ceux qui sont morts pour la patrie, et puis surtout de ceux qui se sont planqués pendant la tourmente et qui ont crié plus fort que les autres à la libération, seulement ceux qui ont travaillé dans l’ombre, les modestes, les pères tranquilles, ils seront oubliés, d’ailleurs ils l’ont été rapidement, tu as compris jeune homme de bonne famille.
- Vous aussi avez participé à la résistance, tante Alice m’a raconté.
- En hébergeant les maquisards quand le temps était mauvais, quand nous étions certains que les fridolins ne rôdaient pas dans le secteur, normal, et puis crois-moi petit nous nous amusions, c’était la nouba presque toutes les nuits, on pouvait faire du ramdam sans que les voisins râlent...Maria, elle a servi la France, à sa façon, ta tante t’a sûrement raconté ça aussi, sur la cinquantaine de gars qui sont passés ici, trois ou quatre survivants seulement, et encore dans un triste état, j’en ai retrouvé un à l’hôpital où tu m’avais fait expédier, il ne me reconnaissait plus le pauvre gars...putain de guerre et ce n’est pas fini, tu crois que les massacres ont servi de leçon? Ça continue et tu verras plus tard les mêmes horreurs, en Afrique et ailleurs, saloperie d’humains... Ton grand-père, un brave homme...
Albert n’est plus l’orateur emphatique que j’avais connu, il se tait, son regard sombre se perd au-delà de son futur lac, vers le fond de la forêt, j’ai l’impression que ses yeux sont mouillés de larmes.
J’attends quelques minutes pour relancer le débat.
- A votre avis, mon oncle Charles était au courant pour ma tante et grand-père.
- Bien entendu, mais il avait une place à tenir, maire d’un village comme Labréville durant cette période c’était une sacrée responsabilité, il fallait ménager la chèvre, le chou et ...le loup, grâce à son apparente soumission au gouvernement de Vichy, il a peut-être sauvé quelques vies.
Albert qui défend Charles, je suis surpris mais, après un silence, il ajoute.
-A part ça je ne lui pardonnerai jamais de m’avoir traité comme un chien galeux… parlons d’autres choses veux-tu, alors avoue, avec ta tendre cousine, j’ai vu son regard posé sur toi, je connais les femmes, quand elles regardent un homme de cette façon, c’est qu’elles ont envie de lui. Tu peux me le dire, je n’irai pas le chanter sur les toits de Labréville, je ne connais plus ce bled.
- Vous êtes pourtant venu le jour de l’enterrement de grand-père.
- T’es rudement copain avec ta tante, elle te l’a dit, oui, une entorse à mes grands principes, une exception, normal le père Montcy méritait bien cet...honneur.
Maria tourne autour de nous, je surprends son regard baissé vers moi, un regard insistant, si la théorie d’Albert est valable, la Polonaise a envie d’un jeune homme...je suis idiot, elle voit à peine clair.
- Embrasse Alice et passe le bonjour à Lyd... à ta mère ;
Encore une pierre noire qui s’ajoute à un édifice que je vois se construire peu à peu, mais quel est mon intérêt à connaître la vérité ? Je suis ridicule, si ma mère a été la maîtresse de cet avorton, c’est son affaire, elle était veuve, il faut que je me fasse une raison. Quand papa a fait des galipettes avec Maria dans la chambre verte, il était marié lui.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 10 autres membres