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Le grand verger (suite)

- Nous avons des nouvelles de madame Dalcroze,  elle a réussi à joindre le colonel Grandgeorges tiens lis.

La dame Suisse nous remercie et nous informe qu’à partir des témoignages de l’officier qui commandait l’escadrille décimée, Gabriel a été identifié, c’était bien un pilote engagé dans la même opération que mon père, il était considéré comme mort aux commandes de son appareil. De confession juive, toute sa famille a été exterminée dans un camp de concentration ce qui explique l’absence de recherches le concernant. La dame nous demande si nous voulons rencontrer le Colonel Grandgeorges.

- Aucune envie de voir de monsieur, en plus ce doit être un vieux gâteux à présent.

Ma première réaction avait été d’inviter le chef de mon père je m’incline devant  le refus catégorique de ma mère.

- Cette fois, plus aucun doute, papa est bien mort en 1940.

- Plus aucun doute.

 

Je n’arrive plus à voir tante Alice en tête à tête, mes nombreuses incursions au grand verger, mes passages fréquents sous la fenêtre de sa cuisine ne donnent rien,  à coup sur, elle m’évite. Pour quelles raisons? Elle craint mes interrogations au sujet de la bague.

Je passe voir Béa dans sa bonbonnière, je lui parle de la lettre de madame Dalcroze, de l’identification de l’inconnu, de sa famille déportée.

- Ah! il était juif, c’est donc cela.

- Cela quoi?

- C’est vrai que tu es encore un novice, je t’expliquerai plus tard, aujourd’hui je suis pressée.

 

 

C’est décidé, Vincent va motoriser la ferme, sur les conseils de son épouse, il a pris contact avec monsieur Cordier.

- J’ai téléphoné à monsieur Cordier, sais-tu qui m’a répondu?... ton copain Michel, on aura tout vu, un commis de culture qui répond au téléphone maintenant. Je suis allé à Prévocourt, ils sont satisfaits de leur tracteur, ils regrettent de ne pas avoir acheté un modèle un peu plus puissant, quelques chevaux supplémentaires pour une différence de prix dérisoire. Ce sont les machines et les accessoires qu’il faut choisir avec discernement, et cela représente une très grosse somme. Bien entendu, les prospectus sont toujours élogieux, la meilleure solution est de voir les charrues et le reste en fonctionnement, la démonstration d’un fabricant est prévue dimanche prochain, du côté de Commercy, veux-tu venir avec nous?

J’hésite, la terre m’inspire peu, je préfère de loin la forêt, les arbres, à la rigueur les chevaux, mais les grandes étendus de plaine, l’argile qui colle aux bottes, non merci. Je refuse cette aimable invitation ce qui arrange bien maman, elle avait envie de sortir, je lui laisse ma place bien volontiers.

Je suis seul au château, j’avais prévu bouquiner dans la tour, je prends goût à certains récits très bien écrits, je suppose que les auteurs de ces livres se sont essayés dans une littérature plus sérieuse et, qu’ayant échoués, ils se sont dirigés vers l’érotisme. Il fait beau, s’enfermer de ce temps-là serait sacrilège, je monte vers le verger.

- Olivier, quelle bonne surprise!

La surprise est pour moi, Jacqueline, perchée sur une échelle croque une pomme rouge à pleines dents.

- Ne me dénonce pas à ton oncle s’il te-plaît, mais je croyais le clan Montcy de sortie aujourd’hui?

- Tes renseignements sont faux, tu vois il  reste un membre, mais je t’en prie continue ta dégustation.

- Ces pommes sont délicieuses, c’est ainsi que je les aime, sur l’arbre, comme tous les fruits que la nature nous offrent, tu m’attrapes, je saute.

La demoiselle joint le geste à la parole et se jette dans mes bras.

Elle reste contre  moi, me passe doucement la main sur les joues en remontant.

- Tu te rases déjà mon petit Olivier, tu es devenu un homme, un vrai, plus un seul bouton, et tu sens drôlement bon.

Je voudrais la repousser, me dégager de son étreinte, elle se colle à moi comme une ventouse, je la soulève et l’entraîne dans la cabane.

 

Nous nous relevons.

- Tu m’as violé Olivier Montcy, je vais porter plainte.

- Tu es folle, tu...

- Imbécile, tu me vois aller chez les gendarmes, leur dire que le fils du château a abusé de moi, ils me riraient au nez...si je viens chaque jour dans ton verger, je recevrai la même punition? 

- Pire encore.

- Alors à demain.

Elle se sauve en riant, se retournant pour me tirer la langue.

 

 

La famille est enchantée, les démonstrations ont été concluantes, même ma mère était subjuguée par le travail des machines de toutes sortes. Quant à Vincent, il est enthousiaste.

- Tu aurais dû voir les charrues à trois socs réversibles, entrer dans la terre rouge comme dans du beurre, les herses d’une largeur incroyable, les chariots avec des pneus énormes, la barre de coupe pour faire la fenaison, c’est l’avenir sans aucun doute.

- Bien gentil toute cette panoplie mais au départ il faut des capitaux et ensuite mettre du carburant.

- Mais père, nous allons liquider les chevaux, semer du blé à la place de l’avoine, supprimer au moins un ouvrier et les saisonniers.

- Nous verrons, des rendements à tenir avec les aléas du temps, les réparations,  sans oublier l’usure, enfin, que voulez-vous, il faut y passer.

J’entends tout de bla-bla-bla sans vraiment écouter, je suis encore dans la cabane du grand verger, j’ai fait beaucoup de choses dans ce réduit, je voulais même y mourir, c’était de plaisir aujourd’hui.

 

Je sors, Béa me suit.

-Tu avais un drôle d’air quand nous sommes rentrés, aurais-tu fais une rencontre imprévue?

- Alors tu m’expliques, pour l’amnésique.

- Tu as de la suite dans les idées, allons dans ta tour d’ivoire.

- Chez toi ou chez moi?

- Dans ta tour, tu es sourd.

Elle évite de m’inviter dans son espace, craignant probablement que je me montre entreprenant.

 

- Alors? Pourquoi tu as répliqué « ah! C’est donc cela » quand j’ai dis que Gabriel était Juif.

- Assieds-toi gamin...tu sais ce qu’est la circoncision?

- C’est une fête je crois ...attend, oui, le curé m’a renseigné, aie aie aie, et puis?

- Le Christ a été circoncis, tu sais pourquoi? parce qu’il était juif et c’est la tradition chez eux, encore maintenant, au début ce devait être une question d’hygiène paraît-il.

- Gabriel était juif et ...

- Tu as compris, la confrontation entre ta mère et la grande dame tournait autour de ce détail, ton père n’était pas Juif, donc pas circoncis, toi non plus, je t’ai vu tout nu quand tu étais môme, Vincent l’est, mais pas en raison de sa religion, un problème médical quand il était enfant.

J’ai la tête qui bourdonne, je me doutais que l’entretien privé devait être axé sur le sexe, encore une découverte pour moi qui croyais tout savoir.

- Merci de m’avoir documenté utilement chère cousine, je suis tranquillisé.

- Allez, à toi, raconte, avoue que tu as fait une rencontre cet après-midi.

- Eve sur un pommier.

- La belle Jacqueline dans toute sa volupté de salope, je m’en doutais, je l’ai aperçue quand nous sommes montés en voiture, elle guettait au coin de la grange, elle attendait notre départ pour te piéger, je ne te demande pas ce que tu as fait avec elle.

- Et les agendas, la clé de ce mystère?

- Il n’y a pas de mystère, c’est clair, grand-père avait besoin d’une chambre pour se reposer un peu.

Ma cousine rit de bon cœur, elle a raison, à quoi bon savoir qui notre aïeul recevait à l’hôtel, il y a quelques mois j’aurais été choqué, maintenant je comprends que l’homme et la femme cherchent à se rapprocher, c’est tout à fait naturel. 

 

 



21/12/2010
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