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Le grand verger (suite)

Après la messe, direction le cimetière situé à proximité, c’est une habitude ancestrale, station prolongée devant le grand tombeau, signes de croix et prières marmonnées; pendant que ma mère et ma tante font un peu le ménage, enlevant des feuilles ou redressant une plaque tombée, les hommes répondent aux saluts des autres paroissiens. Quelques paroles, de rares poignées de main, de mon côté, je reste quelques minutes sur le parvis de l'église, essayant toujours de bavarder avec des garçons de mon âge, nous parlons  musique, automobile,  tour de France quand c’est la période évidemment. Le village évolue, les différences sociales s’amenuisent, quelques fils de commerçants et d’artisans ne m’envient plus comme par le passé, toutefois je sens toujours une réticence, une sorte de déférence que j’accepte volontiers.

Je m’étais promis d’intercepter Suzette, elle ne pourrait refuser mes avances, j’avais entendu sa belle voix claire et forte dépassant celles de ses consœurs de la chorale et je la guettais à la sortie. Très souriante, elle a décliné mon invitation à une promenade à moto et m’a fait comprendre que je dois chercher une autre passagère. Elle fréquente le fils du nouveau chef de gare et ce godelureau a même une voiture.

- C’est bien mieux que ta moto.

 

Maman redescend avec nous car oncle Charles est en grande discussion avec un groupe d’hommes parmi lesquels monsieur Lebrun, exploitant et transporteur forestier, régulièrement sollicité pour  livrer nos bois dans les scieries du voisinage.

Le repas dominical est souvent commun,  tante Alice invite toute la famille, particulièrement quand les chasseurs ont tué des sangliers ou des chevreuils, aujourd’hui c’est ma mère qui reçoit, je l’aide à préparer les couverts.

Charles est d’excellente humeur, après son accès de colère il doit avoir des remords; l’histoire du diamant n’est plus revenue à la surface, curieux? peut-être l’a t-il retrouvé et il préfère se taire.

- Bonne nouvelle, une industrie va s’implanter sur le territoire de notre commune, une scierie de bois, sur l’emplacement de l’ancienne gare. Idéal pour les expéditions de sciage, la voie ferrée directe. Trente ouvriers, quelques employés et surtout un débouché intéressant pour nos grumes de chêne et de hêtre. J’avais été contacté sans trop y croire mais monsieur Lebrun vient de me confirmer cette implantation, il a été consulté pour effectuer des livraisons prochaines sur Labréville, monsieur Morel, propriétaire de l’ancienne gare est d’accord pour céder le terrain et les bâtiments, la signature de l’acte de vente devrait intervenir rapidement.

- D’où vient cet industriel?

- Du département des Ardennes, il dirige déjà une scierie avec un frère, ils ont décidé de se séparer et ce monsieur Roger Durieux a choisi notre village qu’il estime bien placé, au cœur de forêts importantes et de qualité.

- Il va donc habiter ici.

- Oui, il est question qu’il achète La Ronceraie.

- Cette ruine!

- Il a les moyens de la restaurer je suppose.

- Il faudra des mois et des mois pour tout remettre en état, la bâtisse est complètement  délabrée.

- Tu en sais quelque chose galopin, tu as participé activement à sa décrépitude, il me semble.

Les trois femmes rient sous cape.

La Ronceraie avait été le coup de folie d’un riche original, chasseur et Parisien de surcroît; avant la guerre, il avait entrepris la construction d’une grande demeure bourgeoise, les Montcy faisaient la grimace car la demeure s’annonçait splendide. Et puis elle est située sur un promontoire, certes d’un niveau inférieur à la côte Manon mais tout de même. Les travaux avaient été stoppés par la guerre alors que le bâtiment principal venait d’être coiffé d’une magnifique couverture en ardoises. Les ouvertures n’avaient pas encore reçu les menuiseries et elles béaient tristement depuis. Ce lieu était l’un des rendez-vous des garnements du village et je n’étais pas en reste quand je trouvais le moyen de me libérer des contraintes familiales. J’avais moi aussi grimpé quatre à quatre les escaliers en béton et hurlé dans les grandes pièces vides, j’avais jeté des pierres sur le toit, me protégeant de leur retombée avec un couvercle de lessiveuse, celui qui avait le plus d’impacts sur la tôle galvanisée était considéré comme un héros du Moyen-Age. J’avais également balancé des plaques de carrelages du deuxième étage, les projectiles sifflaient dans l’air avant de s’écraser et d’éclater  sur les rails. Quand je pense à ces actes de vandalisme, je me demande si un certain instinct ne m’animait pas, celui de préserver un privilège, de me venger d’un mégalomane qui avait eu l’outrecuidance de rivaliser avec ma famille.

- En attendant la restauration de cette demeure, la commune pourrait mettre l’ancien presbytère à la disposition de la famille Durieux, nous nous devons d’accueillir ces nouveaux arrivants avec politesse.

- Ces Durieux ont des enfants?

- Deux filles, des jumelles.

- Quel âge?

- Tout de suite, dès que l’on parle de filles, tu commences à bouillonner.

Alice me taquine alors que ma mère hausse les épaules comme habituellement.

- Leur âge, je l’ignore, ce que je sais c’est que monsieur Roger Durieux est un homme jeune, il a tout juste trente ans.

Même précoce, ce monsieur ne peut avoir des enfants de plus d’une dizaine d’années, dommage... des jumelles.

Je suis un peu fâché que l’oncle nous apprenne cette nouvelle tardivement, les précisions qu’il apporte prouvent que l’affaire est bien avancée et  j’en déduis qu’il était au courant de tout depuis longtemps.

 



09/12/2010
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