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Le grand verger (suite)

Charles m'apostrophe durement.

- Ah te voilà enfin...nous t'attendions ...ton grand-père, un accident... dans l'escalier de la tour...à voir ta binette, tu étais déjà au courant.

 

- Un accident ? Grave?

- Il est...mort.

Tant d'événements en si peu de temps, un peu de fatigue, j'ai la tête qui tourne, les jambes en coton, je sens ma Norton se dérober, elle m'entraîne dans sa chute.

- Olivier mon petit.

Maman se précipite vers moi, il y a bien longtemps qu'elle ne s'est préoccupée de mon sort à ce point, je reprends rapidement mes esprits. Alice se penche vers moi et me glisse un mot dans l'oreille.

- Essuie le rouge sur ta joue.

Charles revient vers moi, d'un air arrogant.

- Tu as vu papa avant de partir ce matin.

- Non, pourquoi?

- Bastien prétend qu'il a entendu une conversation matinale, dans la tour, une discussion animée et il a reconnu ta voix.

- Ton jardinier devrait se déboucher les oreilles.

- Je t'en prie, évite d'être insolent dans un tel moment, répond franchement, nous avons quelques doutes sur la nature de la chute, il se pourrait qu'elle ait été provoquée, je viens d'alerter les gendarmes.

Les propos de mon oncle me troublent et, quand je vois Béatrice et son mollusque de mari opiner du chef,  je commence à craindre le pire. Je vais être accusé d'une forfanterie, est-ce possible que ces trois larrons puissent avoir le moindre soupçon à mon égard, j'adorais grand-père, malgré sa froideur et sa rigueur, jamais il ne m'avait réprimandé violemment, il savait me faire comprendre quels étaient mes torts et me donnait la solution pour éviter de retomber dans mes travers.

- Ton air bizarre en arrivant, l'impression que tu étais au courant ne plaident guère en ta faveur, allez dis-nous la vérité, vous vous êtes disputés et, un peu énervé, tu l'as bousculé dans l'escalier.

Je suis excédé, je pense plus à la disparition de grand-père qu'à la manière dont il est mort.

- Je vous répète que je n'ai vu personne ce matin, à part maman.

- Menteur, je t'ai aperçu derrière le château, sous la fenêtre de notre cuisine, que cherchais-tu?

Charles est cramoisi.

- Il est venu me dire bonjour, c'est défendu.

Alice prend ma défense, j'aimerais qu'elle explique ce que j'ai fais ce matin, pour quelle raison je suis parti de bonne heure.

- File chez toi, les gendarmes te questionneront, ils sauront te faire avouer, trouve un alibi pour justifier ta fuite en catimini par le chemin de la prairie, nous sommes au courant mon  ami.

Je suis décidé à dire la vérité mais Alice me fait des signes significatifs, elle me demande le silence, je sais que je peux compter sur elle pour prendre ma défense, elle pourra dire ce que j'ai fait aux gendarmes, elle a même deviné l'épilogue.

- Où est grand-père?

- Nous l'avons transporté dans sa chambre, le docteur ne devrait tarder mais tu peux me croire, il est bien mort.

C'est la douche écossaise, alors que je viens de vivre un moment merveilleux, me voici plongé dans l'horreur.

- Je confisque ta motocyclette jusqu'à nouvel ordre, ce serait indécent de pétarader dans les rues de Labréville en ce moment... Bastien, va garer cet engin de malheur dans la remise à bois, et confie-moi la clé.

Je n'ai aucune réaction, j'imagine quel va être mon avenir à présent, tant que grand-père était vivant,  l'oncle modulait son emprise sur moi, maintenant il va pouvoir donner libre cours à ses instincts dominateurs, il va vouloir tout régenter, et Béatrice sa complice  saura lui indiquer la marche à suivre, mon avenir risque d'être compromis. Attendez gros sac et planche à repasser vous n'aurez plus un gamin en face de vous, je suis un homme, un vrai, Nénette peut en témoigner.

De ma chambre, j'entends crisser le gravier dans la cour, c'est la voiture du docteur, j'aperçois deux vélos appuyés contre le tronc du platane,  faciles à identifier, ce sont les affreux bicycles des gendarmes.

- Olivier, tu peux venir.

La voix réconfortante de ma tante retentit dans le  couloir, je me précipite.

- Doucement une chute suffit pour aujourd'hui, alors grand nigaud, impossible de te laisser seul avec une femelle, avec moi tu avais été sage.

- Ma tante !

- Je plaisante pour éviter de pleurer, c'est un terrible malheur qui nous arrive, une  mort aussi soudaine laisse toujours des traces, surtout ne te démonte pas, reste calme, les gendarmes demandent à te voir, sois précis dans les horaires et raconte absolument tout, Nénette ne craint pas les compromissions, et son témoignage expliquerait ton attitude de tout à l'heure.

Facile à dire, j'hésite à entrer dans la grande pièce, des voix traversent la porte, je tends l'oreille.

- Vous n'auriez pas dû le déplacer, il fallait le laisser en bas de l'escalier, comment voulez-vous que nous enquêtions sérieusement.

- Mais brigadier, nous ne pouvions le laisser dans une mare de sang, répond Charles.

Ces paroles me glacent, cette mort que j'appréhendais, que je croyais avoir rencontrée au bord de la route, la voici qui vient d'entrer dans ma propre demeure d'une façon brutale. Grand-père me parlait des derniers instants de grand-mère, de sa souffrance avant de partir, il me disait qu'elle avait fait sa part de purgatoire et qu'elle était entrée directement au paradis. Et lui, avait-il souffert?

J'entre timidement,  sur la pointe des pieds.



07/11/2010
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