Motsetphotos

Motsetphotos

Le grand verger (3)

Je faisais un bond en arrière, l’homme venait d’émettre un râle, le dernier probablement, plus rien à faire...

--------------------------------------------------------------------------------

Je devais avoir des visions, je voyais les doigts de sa main droite remuer, l’index se tendait vers moi... J’avais entendu dire qu’un mort bouge pendant quelques minutes encore, que les os craquent longtemps après, même dans le cercueil, que les nerfs se détendent... j’avais également vu des choses étranges, comme un cochon remuant toujours les pattes alors qu’il était pratiquement vidé de son sang et un canard s'échappant des mains de ma tante alors qu’il avait la tête tranchée.

Impossible de tourner les talons, une force obscure me retenait sur place, mes bottes s’enfonçaient dans la terre détrempée, j’étais inondé de sueur, j’enlevais mon casque. Décrochant mes lunettes de moto, je les plaçais devant la bouche de l’homme, j’avais vu le héros d’un film faire ce geste avec un miroir...aucun doute, une légère buée se déposait sur le plastique. Un mouvement des lèvres m’incitait à poursuivre mon examen,  j’avais le courage de déboutonner la vareuse noire de crasse et de poser ma main sur le thorax,  je sentais un mouvement régulier, l’homme respirait encore.

Aucune blessure apparente, pas de sang sur l’herbe, j’enlevais mon blouson et le posais sur le malade. Que faire? Le mettre à l’abri et filer au village, mais où le mettre au sec? Le chalet des chasseurs, il ne doit pas être bien loin en empruntant le sentier qui monte à partir du pont et ce pauvre diable ne doit pas être lourd, moins que les sacs d’avoine que je montais au grenier des écuries quand j’avais quatorze ans, pour faire le fanfaron devant les ouvriers agricoles.

 

Je m’apprêtais à empoigner le gars et à le charger sur mes épaules quand j’apercevais sa charrette un peu plus loin, elle était chargée de rondins, je la vidais et l’approchais, la manœuvre était délicate, je tirais la victime en le prenant sous les bras, j’avais l’impression qu’avec des petits mouvements de jambes le malade favorisait  le mouvement.

 

Les premiers mètres sont pénibles, la montée est raide, le sol détrempé, je glisse et dois m’arc-bouter pour franchir les profondes ornières. J’arrive enfin sur le plateau et souffle un peu, au premier détour,  la cabane apparaît, j’accélère. Comme je l’avais prévu, la porte est fermée à clé, une bûche a vite raison de la serrure, je peux déposer mon fardeau humain sur un canapé éventré.

J’ai hésité un instant pour savoir de quel côté j’allais chercher des secours, la distance entre les deux villages est équivalente, j’opte pour Prévocourt, les premières maisons sont moins éparses qu’à Labréville et puis je recevrai certainement un meilleur accueil dans le cas présent. J’oublie les règles de prudence et arrive rapidement à l’entrée du village, la deuxième maison est un café, j’entre dans la salle, tout excité.

- Calme-toi gamin, un malade dans le chalet des chasseurs, quel chalet?

- Celui de la grande côte.

- C’est le ban de Labréville, et toi tu es Labrévillais il me semble, t’es pas un Montcy, tu n’serais pas le neveu du Charles?

La patronne commence à m’échauffer les oreilles, sa réaction est décevante, je sais qu’il subsiste un certain antagonisme entre les habitants des deux villages, de vieilles histoires de droit de chasse qui datent d’avant guerre et qui resurgissent à l’occasion.

Le seul client de l’établissement intervient.

- Je crois que le docteur Garraud est chez les Meunier, la vieille grand-mère est au plus mal.

- Le docteur, il y a bien une heure qu’il est passé, il doit être parti sur  Lancourt maintenant et mon téléphone est en panne, mon imbécile de  chien a bouffé le fil.

- Faudrait aller voir jusque là, emmène-moi jeune homme.

Transporter un passager sur le tan-sad est souvent périlleux, surtout quand il s’agit d’un grand et lourd gaillard, un peu éméché de surcroît.

Un coup de chance, la voiture du docteur est encore devant la ferme Meunier.

-Bouge pas mon petit gars, je vais parler au toubib.



14/10/2010
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 10 autres membres