Le curé du village
Le curé du village
Un phénomène notre curé, de forte corpulence, des yeux ronds tournant dans tous les sens, il avait un franc-parler qui souvent choquait les paroissiennes. Les séances de catéchisme dans son presbytère étaient folkloriques dans le vrai sens du terme. Après la récitation de prières, il se mettait à l’harmonium et entonnait des chants qui n’avaient rien de religieux, nous reprenions en chœur « En passant par la Lorraine », « Je suis fier d’être Bourguigon » et autres hymnes à la ruralité. On lui prêtait une aventure avec une veuve, ma condition d’enfant de chœur m’avait permis d’en avoir la certitude. D’ailleurs, pour faire taire les ragots colportés par les grenouilles de bénitier, il avait déclaré en chaire que les curés faisaient vœu de célibat, mais pas de chasteté. L’abbé Ledoux avait un esprit très ouvert et il n’était pas sectaire, entretenant de bonnes relations avec monsieur Lacroix, l’instituteur qui, comme son nom ne l’indiquait pas était foncièrement anticlérical. Il trinquait même avec monsieur Soret, cheminot et militant communiste notoire quand ils se rencontraient au café de la Gare. Parfois la discussion s’envenimait et chacun restait sur ses positions, puis dans un grand éclat de rire, les deux hommes se tapaient sur l’épaule et buvaient un dernier canon. Cet œcuménisme ne plaisait pas à tous les pratiquants, quand le curé sentait une hostilité, il rappelait, dans un sermon, que tous les hommes étaient frères et que Jésus aurait agi ainsi. Durant l’occupation allemande, il ne cachait pas son hostilité au gouvernement de Vichy, qu’il accusait d’avoir pactisé avec le diable. Une anecdote illustre son esprit frondeur. Pâques 1944, juste avant la messe, alors que les fidèles occupaient toutes les places assises, un officier allemand faisait une irruption remarquée dans l’église. Casquette sous le bras, le Teuton s’était signé après avoir trempé un doigt dans le bénitier. Comme à son habitude, avant de faire son entrée solennelle dans le chœur, l’abbé Ledoux, jetait un œil sur l’assistance, balayant toutes les travées. Voyant l’officier planté au milieu de la nef, le curé rentrait précipitamment dans la sacristie. Bousculant les enfants de chœur, il s’emparait d’un crucifix et se dirigeait à grandes enjambées vers le SS <Vade retro satana>, hurlait-il. Claquant les talons, l’intrus qui comprenait le latin, faisait demi-tour et sortait. Les paroissiens n’en menaient pas large, puis, entendant le bruit d’un véhicule démarrer et s’éloigner, ils reprenaient leurs esprits. Jamais un office de Pâques n’avait connu une telle ferveur, dans son sermon, l’abbé Ledoux n’avait pas évoqué l’incident.
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