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La cabane du pêcheur

La cabane du pêcheur

 

- Ne vous éloignez pas trop de la maison, l’orage menace.

- Votre grand-père a raison mes enfants, restez dans les parages...

Roger n’entendait plus sa grand-mère, il avait déjà franchi la haie de lauriers en écartant la masse de feuillage à un endroit précis, Simone l’avait suivi.

- Depuis l’année dernière, tu t’rappellais où qu’il était le trou ?

- OU ETAIT… le trou...paysanne.

- Et toi parigot tête de veau.

Roger était  arrivé hier la veille à Louveilles, son  grand-père était venu le chercher à la gare avec sa carriole tirée par son vieux cheval. Alors qu’habituellement il ne venait à la campagne que pour les grandes vacances, sa mère avait jugé bon de l’expédier chez ses parents  quelques semaines avant.

- Trop de risques ici, la gare de triage à proximité.

Le gamin aurait aimé que sa maman l’accompagne à Louveilles, les premiers bombardements lui avaient fait comprendre qu’un terrible danger planait sur le quartier. A plusieurs reprises, ils étaient descendus dans l’abri, une cave puante et humide où, dès l’alerte, s’entassaient tous les occupants de l’immeuble.

- Je veux rester près de ton papa, tu comprends.

Son père était encore plus exposé, chef aiguilleur à la gare de triage, son poste avait été endommagé lors d’un raid des bombardiers anglais, son adjoint avait été blessé, heureusement sans gravité.

 

- On va jusqu'à la rivière. 

- Et si l’orage éclate.

- T’es un froussard Roger Mansuy, les Parisiens sont tous des froussards, l’oncle Marcel il le dit.

Simone avait touché un point sensible, il arrivait à Roger d’avoir peur mais il s’efforçait de dominer ce sentiment  indigne d’un garçon.

- Bon allons-y.

La rivière ! Il fallait beaucoup d’imagination pour lui attribuer un tel honneur, ce n’était qu’un mince filet d’eau se faufilant entre des pierres polies.

- Ouais, mais t’a qu’à venir en hiver, quand les neiges elles fondent, tu verrais, le pré est complètement inondé, même que des fois l’eau elle coule dans la rue Basse.

Simone rabâchait chaque été la même histoire.

- On peut traverser sans se mouiller les pieds.

- Tu sais bien qu’il ne faut pas aller de l’autre côté, l’oncle Marcel il dit que c’est dangereux.

Simone était barbante avec son oncle Marcel, un vieux bonhomme qui sentait mauvais.

- C’est l’odeur de son bouc, moi ça me dérange pas, j’suis habituée.

- Qui m’aime me suive.

En sautant de pierre en pierre, l’autre rive du cours d’eau était atteinte.

 Pour quelle raison cet endroit était réputé dangereux ? Simone n’avait que de vagues explications à fournir.

- Parce que ...parce que il y a souvent des traîne-savates qui se cachent dans la cabane du pêcheur.

- Et alors, ce sont des bandits ?

- Ben, c’est des drôles de types, maman elle me l’a dit, ils s’attaquent aux filles, moi j’vais pas plus loin, vas-y si tu veux.

La fameuse cabane était enfouie dans une masse végétale où s’enchevêtraient des arbustes et des orties, c’était la première fois que le garçon la voyait d’aussi près, les années précédentes il n’avait pas osé traverser la rivière, ne distinguant, à travers le feuillage que son toit de tôles rouillées.

Contournant un bosquet de noisetiers, il débouchait sur un sentier, face à lui, la fameuse cabane, le trou sombre d’une ouverture l’attirait

- Reviens  Roger, t’entends les coups de tonnerre.

Simone s’égosillait.

En effet, l’orage se rapprochait, les grognements lointains laissaient la place à des grondements menaçants, le ciel s’obscurcissait et des éclairs zébraient l’horizon.

 

- Que fais-tu ici gamin ?

Roger était pétrifié, une ombre se profilait dans l’embrasure de la porte, un homme, certainement un traîne-savates comme disait Simone.

- Attends ne te sauve pas,  tu habites le village ?

L’homme n’avait pas l’accent traînard des gens de la région, il était bizarrement accoutré, une sorte de vareuse bien trop courte pour sa corpulence, un pantalon de velours maintenu par une ficelle.

- Non, je suis en vacances ici.

- Déjà ? Dans ta famille ?

- Chez mes grands parents, ils habitent de l’autre côté de la rivière.

- Il y des Allemands dans ce bled ?

- Des soldats ? Non.

- Pourrais-tu me procurer à manger et à boire surtout ?

- Vous êtes un évadé.

Roger avait entendu  parler de prisonniers évadés cachés dans des wagons de marchandises à qui son père et les hommes de son équipe fournissaient des vêtements et des victuailles.

- Demande à tes grands-parents, ne subtilise pas de nourriture en cachette, je suis pour la légalité...moi.

L’homme riait, découvrant deux rangées de dents bien blanches, ce n’était certainement pas un paysan, il n’avait aucun accent.

- Tu es parisien gamin ?

- Oui, presque, mes parents habitent en banlieue, à Pantin.

- Je connais, j’aimerais m’y retrouver, Pantin ce serait la sécurité pour moi, je pourrais y parvenir dans un train, la ligne qui passe ici...

- Oui, elle rejoint le réseau qui se termine à la gare de l’Est, mon père est cheminot.

- Pas possible... à la gare de Pantin ?

- Oui...que voulez-vous manger ?

 

Un éclair était suivi presque aussitôt d’un claquement sec.

- Vite à l’abri gamin, c’est dangereux de rester sous les arbres.

Le vent s’était levé, la pluie commençait à tomber drue, martelant les tôles du toit.

- C’est agréable ce bruit sur la toiture, ça me rappelle…le stalag.

- C’était agréable le stalag ?

- Non, mais la chanson d’aujourd’hui est gaie, contrairement à celle que j’entendais chez les boches, tu vois comme nous sommes, suivant les circonstances,  le même phénomène peut être interprété de différentes façons…excuse-moi gamin, je me crois à l’université.

- Vous êtes encore étudiant ?

- Je suis de l’autre côté, professeur de philo…sophie, à la Sorbonne.

L’homme fermait les yeux et se taisait, son esprit devait être bien loin de la cabane.

- Roger…Roger !

Le grand-père s’inquiétait.

Roger hurlait pour rassurer mon aïeul mais sa voix était trop faible, elle se diluait dans le bruit du vent et de la pluie.

- Votre Roger est là, à l’abri dans la cabane.

Roger sursautait,  l’homme avait une voix de stentor.

 

Le grand-père était harnaché comme un marin, vêtu d’un caban jaune, coiffé d’un curieux chapeau.

- Tu nous a fait peur…c’est vous qui avez crié ?

L’aïeul  enlevait son couvre-chef dégoulinant, le regard fixé sur l’inconnu.

- Je ne suis pas un fantôme, juste un prisonnier évadé.

- Emile…Emile…c’est pas possible.

- Vous faites erreur, mon prénom est  Louis.

- Du…Duverger…

- Oui, Duverger, mais…Emile c’était mon père.

Une scène étrange se déroulait sous les yeux du petit Parisien, les deux hommes s’étreignaient durant de longues minutes.

- Tu es né le 14 juillet 1915…Louis…Emile, c’est incroyable.

 

C’est au sec, assis à la table de la cuisine tout le mode se retrouvait quelques minutes plus tard. Louis Duverger avait englouti deux belles tranches de jambon couchées sur du pain beurré.

- Ton père et moi  étions deux bons copains, plus d’un an ensemble dans un fort près de Saint-Mihiel dans la Meuse, nous avions fêté doublement le 14 juillet 1915, la naissance de son fils, ta naissance…puis il est parti sur le front de la Somme, nous échangions des lettres et…

Le grand-père ne pouvait retenir ses larmes, la grand-mère avait sorti son mouchoir, Louis avait les yeux rouges.

- Ton cri, j’ai cru entendre ton père, la même voix.

 

Le lendemain, après une nuit de repos, Louis Duverger prenait le chemin de la gare, caché dans le tombereau de monsieur Petitjean, le cultivateur voisin.

 

C.C.  (Extrait des souvenirs de guerre d’un enfant)

 

 

 

 

 

 

 

 



21/05/2009
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