Le Bois aux Loups
Nous descendons du véhicule et continuons à pied sur le chemin, quelques arbres sont en feuilles, l’air est vif.
-Voilà la limite de votre bois, une bonne soixantaine de mètres de profondeur, ensuite la bande s’élargit jusqu’à hauteur de votre maison et se rétrécit à nouveau.
Une borne marquée d’une trace blanche émerge du sol.
-Ca va ? Vous me suivez, maintenant nous allons remonter en plein bois, la zone sinistrée par la tempête est proche.
Carole est devant moi, elle marche dans les pas de Pierre Salvati qui sait éviter les ronces, je l’imite.
-Vous avez quelques beaux hêtres qui arrivent à maturité, sur ce versant, normalement ce sont des cœurs blancs, les plus recherchés, si vous voulez, je viendrai les estimer avec mon contremaître et je vous ferai une proposition.
Des futs bien droits au tronc lisse se dressent vers le ciel, les branches sont encore décharnées.
-C’est d’accord.
-Voilà, nous y sommes.
Nous arrivons dans un endroit où les arbres sont moins serrés, plusieurs enchevêtrements de racines ressemblent à des poulpes géants.
-Ce sont les vestiges des hêtres déracinés par le vent.
-L’exploitant a laissé ces racines sur place ?
-Que voulez-vous en faire, les enlever coûte cher, ils vont pourrir doucement, les insectes vont se charger de les faire disparaître, il faudra du temps, mais avec la forêt, il faut être patient.
Plusieurs souches apparaissent, assez éparpillées, le scieur les examine sans dire un mot, allant de l’une à l’autre. Je les trouve modestes, je crains son diagnostic, Christophe s’est fait des illusions, le garde-forestier avait raison.
Pierre Salvati soulève sa casquette et fourrage sa tignasse grise.
-Il faudrait faire un inventaire complet, les disparus avaient de la valeur !
Carole est surprise, moi aussi, les chênes et les hêtres que nous avons vus au bord du chemin étaient autrement plus gros.
-Des merisiers, des érables et des alisiers, des bois côtés sur le marché actuellement, nos voisins Allemands et Belges les recherchent pour le déroulage, ils fabriquent des placages utilisés dans le meuble de luxe.
-Le merisier et l’érable je connais, l’alisier c’est un bois de nos forêts ?
-Il fait partie de la famille des sycomores, certains sujets valent très chers, si vous voulez un inventaire le plus juste possible, je reviendrai avec mon adjoint.
-Vous pouvez évaluer le volume d’un arbre à partir de la souche ?
-Pour le diamètre c’est facile, pour la hauteur, nous connaissons la moyenne par essence, ces arbres disparus avaient bénéficié du vide créé par les hêtres déracinés, ils se sont plus facilement développés en hauteur, je pense…Allons voir un peu plus haut, j’ai aperçu des résineux de loin.
En effet, quelques grands sapins bordent la lisière de la forêt.
-Ici des arbres ont été brisés par le vent, il est temps d’abattre le reste, ils risquent de sécher sur pied, je n’en scie que rarement des résineux mais je peux vous envoyer un collègue spécialisé dans le bois de papier, ne vous attendez pas à des sommes importantes, les sapins de plaine poussent trop vite, le bois est trop tendre pour la construction.
Nous découvrons encore quelques souches.
-Toujours des merisiers et des alisiers, presqu’autant qu’en bas, le meilleur a été écrémé, madame Bartin, vous avez été victime d’une véritable razzia.
-A votre avis, qui pourrait être capable d’un tel acte, et si c’était le scieur d’Oréville ?
-Je n’accuse personne, il est évident que ce Bois-aux-Loups est peu connu, sans la tempête je l’ignorais, possible que ceux qui ont acheté les bois couchés aient repéré ce pactole, maintenant c’est peut-être un autre, il y a de temps en temps des exploitations dans ce secteur, le garde-forestier pourrait vous donner les renseignements, il connait le nom des exploitants et des transporteurs, de mon côté je vais essayer de savoir.
Je trouve le retour vers le véhicule difficile, plusieurs fois je me prends les pieds dans les ronces accrocheuses, manque d’habitude, monsieur Salvati et Carole me distancent.
Nous reconduisons madame Bartin, elle nous offre un rafraîchissement et demande à Pierre ce qu’elle doit pour le déplacement.
-Je suis en dette avec monsieur Passy…Nous viendrons probablement la semaine prochaine pour l’inventaire, nous en profiterons pour estimer les hêtres, je vous préviendrai, je m’occupe aussi de vos sapins.
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