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La nymphe vengeresse

Nous changeons de secteur, je dois lever les pieds pour éviter d’être piégé par les ronces envahissantes, de temps en temps, une tige hérissée d’épines accrocheuses agrippe mon pantalon, je dois reculer pour me dégager, je ressens des piqûres à travers le tissu. Cette randonnée me rappelle mes promenades dans les bois avec grand-père, dès que j’étais retenu par une ronce, je ne bougeais plus, de peur de m’arracher la peau, j’attendais la délivrance,  mon aïeul s’approchait et tranchait les tentacules à l’aide de son couteau laguiole, celui qu’il sortait immanquablement en s’installant à table, même au restaurant, sous le regard courroucé de grand-mère.

- André est mort ici, au pied de ce hêtre.

L’exploitant baisse la tête, comme devant une sépulture, je respecte son silence.

Ce comportement me rassure un peu, un homme respectueux ne peut être un assassin...à moins qu’il savoure son acte précédent et se prépare à en commettre un autre.

- Et le premier accident ?

- A une trentaine de  mètres d’ici, suivez-moi.

Nous sautons un fossé où stagne une eau trouble et arrivons sur un terrain un peu plus ferme.

- Voici l’arbre responsable.

Le hêtre est fendu de haut en bas, dénudé sur un côté, les blessures sont profondes, la pourriture s’installe.

- Il aurait dû être abattu mais les anciens copains de Fernand refusent de le sacrifier, il nous faudra trouver un étranger pour faire ce travail...il aurait donné des coups avec le dos de la cognée, regardez les marques, incompréhensible.

Curieusement, le retour vers le véhicule me semble plus aisé, l’air est toujours aussi vif, je respire à pleins poumons et je reste en éveil, les grimaces de Jean Galley m’inspirent toujours autant de craintes.

Pendant que je décrotte mes bottes, je constate que mon guide est appuyé sur la carrosserie, il semble souffrir.

- Une crise de sciatique, dès les premiers mètres de marche, j’ai senti que cette saloperie allait revenir, c’est la même chose chaque année à pareille époque, je vous assure, c’est douloureux.

Je comprends le visage crispé,  il aurait pu m’avouer ce handicap plus tôt, je n’aurais pas eu peur.

Je propose de conduire, Jean accepte d’emblée. Je n’ai plus l’habitude de piloter un véhicule sans direction assistée, à chaque virage je peine comme un forçat pour tourner le volant.

- Faites attention dans la descente, les freins ont souvent des défaillances.

Je reste en deuxième, le moulin fait un bruit d’enfer.

 

Julien Garassaux nous attendait devant chez lui.

- Alors, votre conclusion ?

Je reconnais qu’à part l’attrait de la source, l’endroit n’incite guère à la promenade, l’accès est pénible.

- J’ai parlé de la fameuse nymphe à monsieur Passy.

- Tu as bien fait, il ne faut rien cacher.

- Si c’est possible, j’aimerais bavarder avec  quelques habitants du village[C1] , en dehors de votre groupe.

- Bien entendu, vous être libre.

- Lors de ma précédente enquête, j’avais rencontré un brave homme, un ancien instituteur je crois, une personne bien au courant de l’histoire de Mauzieux.

- Monsieur Mathieu, c’est un directeur d’école primaire à la retraite, il se fera un plaisir de vous renseigner et, comme il n’est pas  natif de notre bourg, il est objectif, je vous arrange un rendez-vous.

Avant de quitter le domaine, Julien Garassaux tient à me présenter son entreprise, il vient de moderniser une chaîne de sciage.

Je suis novice en la matière mais je suis impressionné par la vitesse d’une grosse scie, le ruban entre dans la chair des bois comme dans du beurre. Tout est automatisé, le scieur dirige sa machine depuis une cabine qui ressemble à celle d’un camion. Les planches tombent sur un tapis roulant, sont triées automatiquement, passent par un autre banc de sciage pour être débitées en petits éléments. Un système d’empilage automatique précède l’enfournement des bois dans d’immenses séchoirs.

- Indispensable cette modernisation, si nous voulons être compétitif sur le plan international.

- Vos productions s’exportent ?

- En partie, mais nous avons un marché important sur place, les ébénisteries locales tournent bien, nous leur vendons surtout des bois précieux.

- Qu’appelez-vous bois précieux ?

- Merisier, noyer, sycomore, alisier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 [C1]



12/10/2011
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