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La nymphe vengeresse

Le père Limonet est un peu patraque, je lui rapporte ses bottes et ses impers et lui présente mes excuses.

- Depuis le temps que tout cela est dans le coffre de ma voiture, et le pire c’est que je suis venu plusieurs fois à Mauzieux depuis.

- Je sais, j’ai lu vos articles, avec ces histoires de regroupements, de licenciements, que voulez-vous, il faut s’adapter à l’ère moderne, à la concurrence internationale, je suis content d’avoir mon âge, d’être à la retraite, notre génération a bossé dur mais la hantise du chômage n’existait pas...alors  le Yougoslave, les travaux entrepris chez lui ont causé sa perte, c’est le retour du bâton, je repensais aux femmes qui venaient lui rendre visite, une fois j’avais eu l’impression que c’était la pauvre Marie-Louise Galley mais c’était impossible naturellement, elle ne pourrait se déplacer qu’en fauteuil roulant.

 

- Tu as le temps de recevoir ?

Léa, la réceptionniste me précise,

- Une jolie femme, je la laisse monter ?

 

Au premier coup d’œil, je sais qui vient d’entrer dans mon bureau, des yeux presque aussi phosphorescents, des cheveux presque aussi longs et clairs.

Le père Limonet pouvait confondre quand il me parlait de l’une des visiteuses du Serbe.

- Pardonnez mon intrusion, je suis...

- La sœur de Marie-Louise, vous êtes Patricia.

- Vous alors, ma sœur m’avait dit que vous étiez perspicace.

- Asseyez-vous et dites-moi ce que vous avez à me raconter.

- Tout d’abord m’excuser, sincèrement, j’ignorais que les lettres que je postais à Serville étaient...comment dire.

- Déplaisantes.

- Vous êtes gentil, je viens de lire les doubles...comment avez-vous deviné ?

- La routine.

Je joue les malins afin de surmonter un réel émoi, Patricia a le charme de Marie-Lou mais elle a beaucoup plus, sa jupe courte dévoile des jambes que je remonte du regard jusqu'à un niveau situé à la frontière de la décence, je guette un mouvement pour aller encore plus loin, l’eau de la source miraculeuse serait inutile avec cette femme.

- Vous avez un beau métier.

- Oui, surtout quand j’ai la chance de recevoir des jolies femmes…

- Mais je crois que vous deviez sortir, la dame de la réception...

- J’ai le temps de vous écouter, à moins que vous ayez beaucoup de choses à me raconter.

- Je peux vous parler de l’essentiel et nous pourrions nous revoir par la suite.

- Pourquoi pas.

- Marie-Lou vous a fait part de ses craintes concernant notre oncle, je vais être directe, j’ai eu à subir les harcèlements de Jacques quand j’étais encore chez mon père, vous semblez ne pas avoir pris les déclarations de ma sœur au sérieux quand elle vous a dit qu’elle avait été l’objet de sévices...et ce n’étaient pas seulement des tentatives, imaginez Marie-Lou sans défense et cette brute immonde, et puis... je peux fumer, je suis tellement tendue.

- Je vous en prie, voici un cendrier.

Je vide les trombones, le cendrier ne me sert plus qu’à cela...Malboro, rouge à lèvres ? non celui de Patricia est nettement plus rouge vif, plus violent...quoique, les tubes de rouge garnissent des étagères et remplissent des tiroirs chez chaque femme coquette, j’en sais quelque chose.

- Et puis ?

- Jacques a une complice dans la maison, vous l’avez compris, Annie n’a pas hésité à verser un soporifique dans le café de ma sœur pour que son amant arrive à ses fins, voilà la raison du verrou.

- Vous allez un peu loin.

- Oui, mais c’est la vérité.

- De tels personnages seraient capables de trucider trois personnes ?

- C’est ce que nous pensons.

- C’est surtout votre sœur qui le pense.

- Moi aussi, je les connais trop bien.

- Vous habitez Serville, vous savez où se trouve la gendarmerie.

- Les gendarmes, vous n’y pensez pas, ils prennent vos dépositions, vous font signer des feuilles, vous devenez témoins, il faut aller dans les tribunaux, non merci.

- Mis à part les agressions sexuelles, quelles preuves contre Jacques et Annie concernant les crimes éventuels ?

- Tenez, Marie-Lou m’avait dit de vous remettre ces documents dans le cas où vous seriez sceptique, vous avez déjà lu son cahier intime à la page du 12 février, c’est clair et net, elle seule pouvait remarquer la supercherie, les autres feuillets concernent les jours qui précédent et qui suivent la mort de monsieur le maire et celle d’André, y  compris le jour même,  lisez, vous serez édifié.

Je prends la chemise bleue que me tend Patricia.

- Je vais examiner ces documents, merci...vous aviez autre chose à ajouter.

- Oui et non, faites en sorte que nous restions dans l’ombre surtout ma sœur et moi… vous sortez, vous ne passez pas dans le quartier de la gare ?

- Je passe devant effectivement, vous êtes venue par le train ?

- Oui ma voiture est en panne.

- Alors allons-y si vous voulez.

 

Je larguais ma passagère et attrapais la chemine bleue posée sur le siège arrière, que raconte les extraits du fameux journal de sa petite sœur ?

Ce sont des photocopies d’une écriture manuscrite et je retrouve la page consacrée à la  journée du mercredi 12 février, le feuillet suivant est daté du dimanche 27 avril.

Je me demande ce que Jacques et Annie manigancent, les regards qu’ils échangent à table reflètent une sorte de complicité, ils ressemblent à deux gosses qui viennent ou qui vont commettre une grosse bêtise. J’ai toujours peur pour papa, mais que pourraient-ils lui reprocher ?le pauvre ferme les yeux sur les frasques de sa chère épouse et ne voudrait surtout pas se fâcher avec son petit frère.

Le mercredi 30 avril, Marie-Louise note :

Le chacal et la vipère sont de plus en plus nerveux, aucun doute, ils mijotent quelque chose d’important.

Le jeudi 1er mai, Marie-Louise parle de ce qu’elle voit par sa fenêtre, un vendeur de muguet posté à l’entrée de la boulangerie.

C’est insensé, ce jeune homme fait des affaires, les habitants de votre bourg n’ont plus le courage d’aller cueillir cette jolie fleur dans les sous-bois, j’aimerais tant aller à la Fontaine-aux-Chênes comme le faisait nos anciens.

Suivent quelques remarques sur les passants, entres autres, elle écrit :

Monsieur Albert vient de passer avec son 4/4, à coup sûr, il va dans les bois pour contrôler les dernières coupes, chaque année, il marque son opposition au symbole que représente le 1er mai, il me l’a souvent dit.

L’avant-dernier  paragraphe relatant cette journée particulière pourrait faire naître des soupçons.

Les deux loups de notre bergerie sont allés se promener dans les bois pendant que les enfants n’y étaient plus, papa a eu un lot de consolation, un magnifique bouquet de muguet, de belles clochettes pour une belle cloche.

Il fallait tourner la page pour voir la suite et je m’attendais à ce qu’elle parle de la mort du maire. Elle en parlait brièvement, exprimant sa peine et ajoutait :

La belle Elisa va devoir se trouver un autre amant-gâteau, ce ne sera pas facile à Mauzieux.

Il restait un feuillet à consulter à la date du dimanche 26 octobre ; à nouveau un compte-rendu détaillé de l’activité du matin et bien entendu une conclusion prévue.

Décidément, la forêt est dangereuse cette année, troisième victime à proximité de la Fontaine-aux-Chênes, comme j’aimerais être cette naïade qui attire les hommes et les détruit, seulement je choisirais ceux qui méritent réellement une punition. Isabelle  perd un mari, ses amants perdent un ami et le petit dernier un patron, tous sont perdants, si c’est un crime, tous sont innocents, alors ? Certains tuent pour le plaisir, recherchent des sensations fortes, ils doivent avoir besoin de sang pour se sublimer.

La lecture de cette prose me laisse songeur, l’observatrice semble persuadée de la culpabilité de Jacques Galley et de la complicité d ‘Annie, l’une attirant les mâles près de la source, l’autre les trucidant. Je pourrais courir à la gendarmerie mais je préfère différer cette démarche.



18/11/2011
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