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La nymphe vengeresse

A la grande surprise de Martine, je mets une cravate.

- Dommage de mettre un pull, enfin frileux comme tu es...mais tu sais que tu es chic ainsi, tu devrais rencontrer plus souvent des jeunes recluses.

- Arrête de plaisanter, la demoiselle est dans une situation dramatique, j'ai quelques craintes, c'est la première fois que je vais me trouver dans une telle position.

 

L'aîné des Galley devait me guetter, j'ai à peine le temps d'appuyer sur la sonnette que la grosse porte d'entrée s'ouvre.

- Le vent se lève et la température remonte un peu, gare à la neige...je n'ai pu attendre votre arrivée pour prévenir Marie-Lou, c'est tout de même une femme, il fallait lui laisser le temps de se pomponner un peu.

- Comment réagit-elle ?

- Elle est toute émoustillée, rarement vu dans cet état, vous avez bien fait d'insister, je suis content qu'elle accepte.

Et moi j'ai peur de me retrouver devant celle qui met ma virilité en doute car je suis pratiquement certain qu'elle le corbeau.

Je marche sur les talons de Jean, cela me rappelle notre promenade dans les bois, j'éprouvais la même angoisse.

Marie-Louise vit dans une grande pièce, deux baies vitrées l'éclairent mais d'épais rideaux filtrent la lumière. Ce qui choque, c'est la présence de posters sur les murs, ils représentent des danseuses, uniquement des danseuses d'opéra avec leurs longues et belles jambes ; je me sens oppressé. Je distingue à peine le visage de mademoiselle Galley, elle est placée à contre-jour, volontairement je présume. Elle trône sur fauteuil de bureau à roulettes et aucun indice de son infirmité n'apparaît.

Sait-elle que j'ai découvert la vérité,  que son « phantasme » l'a trahi ?

- Prenez place monsieur Passy, tu peux nous laisser papa.

La voix est douce, mélodieuse, cristalline.

Je m'assieds gauchement sur une chaise de style au dossier droit et au siège dur. Mon premier regard est pour le matériel informatique placé sur une grande table, une imprimante Canon...Dois-je réviser mon jugement ? le bureau de la société possède une HP, à partir de cette salle, l'accès doit être possible. Un petit bureau supporte une machine à écrire, de nombreux livres sur une étagère, des policiers et des romans mais aussi des dictionnaires de toutes sortes. Au fond, à gauche, une cloison pliante masque une grande partie de la pièce.

Je m'habitue à la lumière diffuse et commence à distinguer le visage de Marie-Lou, un visage agréable encadré de longs cheveux blonds qui tombent en cascade sur un chemisier clair à peine échancré. La nymphe de la fontaine, c'est elle, malheureusement, elle ne peut plus gambader dans les genêts. Ce qui me frappe le plus, ce sont les yeux, des yeux lumineux, presque phosphorescents, son regard me paralyse comme le ferait un rayon laser. J'échappe à cette emprise, le buste est avantageux, une poitrine triomphante et une taille fine. J'arrête là mon examen, inutile de voir le reste, toute la vitalité, toute l'énergie sont concentrées dans la partie haute du corps.

- Félicitations monsieur Passy, vous êtes rapidement arrivé jusqu'à moi, je savais que je pouvais vous faire confiance,  deux lettres ont suffit, j'en avais pourtant préparée une troisième.

J'émerge de ma torpeur, je reçois de plein fouet une claque magistrale, si je m'attendais à une telle introduction. 

- Une troisième missive tout de même, vous doutiez de mes capacités déductives comme de mes capacités...

- Pardonnez-moi si je vous ai froissé, j'étais certaine que des allusions précises vous feraient réagir.

- C'était bien vous.

- Je ne vous demande pas comment vous avez trouvé ma trace à travers les lettres, nous en parlerons plus tard, éventuellement.

- Puis-je connaître les raisons de votre appel ?

- Vous êtes pressé, vous voulez boire un café ?

- Je ne veux pas vous déranger.

- C'est mon père qui va se déranger.

La demoiselle fait un quart de tour et appuie sur une sorte d'interrupteur.

Des pas résonnent dans le couloir, Jean Galley entre.

- Je dois partir immédiatement, Jacques m'attend sur un chantier, tu connais ton oncle et son impatience viscérale, Annie vous prépare les cafés, à plus tard monsieur Passy et merci.

- J'avais deux bonnes raisons de vous recevoir, la première, et vous êtes au courant, Julien vous a dit que j'écris des romans, vous avez peut-être des conseils à me donner, mes démarches pour trouver un éditeur ont échouées.

- Le monde de l'édition est un monde à part, une sorte de planète bien protégée, impossible d'approcher sa zone d'attraction, une barrière cosmique  refoule ceux qui voudraient s'introduire.

- Mais certains réussissent à se faufiler.

- Ils passent par le centre, c'est le seul chemin possible, seulement il faut avoir des complices à l'intérieur.

- Et vous en connaissez ?

- Indirectement, mais j'aimerais ne rien vous promettre.

La porte s'ouvre doucement, une dame entre.

- Attention, il est chaud.

Décidément, la maison des Galley abrite de jolies femmes.

- Monsieur Passy,  très heureuse de faire votre connaissance, mon mari m'avait parlé de vous, de votre balade en forêt, il vous a maltraité, marchant trop vite, comme d'habitude,  il a été puni, cette maudite sciatique.

L'épouse de Jean ? si c'est la mère de Marie-Lou elle fréquente régulièrement les instituts de beauté, je lui accorde généreusement une quarantaine d'années. Les mêmes cheveux blonds, un peu plus courts mais également ondulés naturellement, les mêmes yeux clairs, et le reste ! elle soutient la comparaison avec Elisa.

L'apparition s'évanouit rapidement, j'ai encore les yeux en direction de la porte, Marie-Lou me ramène à la réalité.

- Ne vous posez aucune question, elle n'est pas ma mère,  j'avais huit ans quand maman est morte, papa ne pouvait supporter la solitude, Annie était notre employée de maison, elle a su s'y prendre pour échanger son tablier de bonniche contre une blouse de maîtresse..

- Vos rapports avec elle ?

- Conventionnels, remarquez c'est une bonne ménagère, bonne cuisinière et je pense que c'est une bonne épouse sur le plan charnel ; au début je me fichais de sa présence, persuadée que j'allais quitter la maison rapidement, et puis, à présent elle me tape sur les nerfs...où en étions-nous ?

- Depuis votre accident, écrivez-vous un journal intime ?

- Oui, mais il est intime.

- En quatre ans, vous devez avoir accumulé de nombreuses réflexions.

- Oui, et puis  j'ai surtout observé, j'avoue, je suis une curieuse. Avant votre arrivée, je savais qui vous étiez à travers vos articles et je vous connaissais physiquement.

- Vous m'aviez vu à travers vos carreaux.

- Exact, je vous ai aperçu une première fois quand vous avez rencontré Jacques puis dernièrement quand vous êtes allé à la maison de la presse...et ce n'était certainement pas pour acheter un journal, vous étiez dans le sillage d'Elisa, elle vous attire cette femme, vous êtes tous pareils.

Beaucoup de rancœur dans les propos de Marie-Lou, c'est naturel, la frustration doit être pénible                                                                                                                            

 - Curiosité professionnelle.

- Ben voyons.

- Et votre poste d'observation  sert surtout à épier les faits et gestes de chacun.

- Et alors, chacun son plaisir.

Cette fois c'est plus que de la rancœur, Marie-Lou serre fortement les bras de son fauteuil, cette jeune femme souffre terriblement.

- Excusez-moi, vous ne pouvez comprendre.

Les yeux viennent de perde leur éclat, je crois déceler une larme vite réprimée.

- L'écriture, la lecture occupent une grande partie de mes jours et de mes nuits,  la vision de Mauzieux à travers la vitre est une récréation. J'ai  vue sur le carrefour le plus fréquenté, d'ici je vois la boulangerie, la poste, le bureau de tabac et la pharmacie ; piétons, vélos, motos et autos, rien ne m'échappe. Je reconnais les piétons même de dos uniquement par l'allure, les cyclistes par le coup de pédale, les motocyclistes et les automobilistes par le bruit de leur véhicule. J'assiste de loin à des conversations mais je devine  ce qui se raconte, je distingue les signes discrets que peuvent s'échanger certains...Et vous pensez que mon journal ?

- Je vais en parler, je ferai le maximum pour vous aider.

- Malgré mes injures.

- Vos lettres étaient tout au plus déplaisantes.

- Vous êtes gentil, merci de me comprendre, c'est difficile de continuer à vivre dans un tel état, le seul motif qui me retient sur cette terre, c'est l'amour de papa.

- Vous avez des contacts avec l'extérieur ?

- Aucun, je suis oubliée, j'avais des amies, de bons copains, au début je recevais quelques visites, ensuite c'était des coups de fil, à présent le vide total, c'est terrible, jamais je ne pouvais imaginer...si j'avais un seul ami, il est mort asphyxié.

- Joseph Radzic ?

- Chaque fois qu'il passait devant ma fenêtre, il me faisait un petit signe de la main, il ne pouvait me voir mais il savait que j'étais là.

- Vous le connaissiez avant votre accident.

- Julien ne vous a pas raconté, ou quelqu'un d'autre ?



12/11/2011
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