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La mémoire oubliée

Après les formalités d’usage, notre conversation s’enlisait dans les banalités, nous avions fait le tour du bulletin météo, parlé de nos santés réciproques en passant par les dernières nouvelles du canton et du département, évoqué la situation nationale et internationale.

Depuis mon arrivée chez les Pierret, je ne sais pas encore pourquoi Roger, le maire de Champbourg m’a demandé de le rencontrer chez lui, sa demande téléphonique avait été pour le moins laconique, presque mystérieuse, à tel point que ma curiosité professionnelle m’avait incité à répondre rapidement à son invitation.

Enfin, pour mettre un terme à un préambule interminable, mon hôte sort une enveloppe d’un tiroir, en extrait nerveusement un billet qu’il me tend.

-Tenez, monsieur Passy, lisez ceci s’il vous-plait.

Je déplie une feuille quadrillée, détachée d’un cahier d’écolier, le texte est court.

« Je n’ai rien oublié, j’ai de la mémoire, ce sera bientôt ton tour Roger Pierret ».

-J’ai découvert ce…message, samedi dernier, en prenant un atlas dans la bibliothèque à la demande de mon petit-fils, l’enveloppe, posée sur la rangée de livres est tombée, vous imaginez ma stupeur.

Roger Pierret est agriculteur, il exploite un domaine agricole de plus de trois cents hectares de bonnes terres à blé et à betteraves à sucre. La famille Pierret dirige, depuis plusieurs générations,  la mairie du petit village de Champbourg, environ deux cents cinquante habitants.

Il y a une dizaine d’années Roger avait succédé à son père Charles à la ferme et à la mairie, le maire était décédé tragiquement et brutalement le soir d’un 14 juillet en chutant d’un grenier à foin sur le sol bétonné de la grange. Un accident qui n’avait surpris personne dans le canton, le premier magistrat était connu pour son intempérance. Fraîchement arrivé dans la région, j’étais responsable de la rubrique sportive mais je me souviens que mon collègue des faits-divers avait eu quelques problèmes après la parution de son article relatant le drame. Depuis que je touche aussi à cette rubrique particulière, je sais à quel point il faut peser ses mots dans les comptes-rendus, le milieu rural est particulièrement sensible. A mes débuts, je me suis souvent heurté à des murs du silence dans des affaires de vols de bétail ou d’accidents de chasse, même les gendarmes admettent que ce n’est pas toujours facile d’enquêter, en particulier chez les paysans. Ma connaissance du terrain, quelques papiers reprenant les doléances des agriculteurs m’ouvrent plus facilement les portes et délient les langues.

Un grand soupir, puis mon interlocuteur poursuit.

-J’ai des raisons d’être inquiet en lisant ce papier, vous avez eu connaissance des circonstances qui ont entouré la mort de mon père, pour moi, pour notre famille, sa chute était inexplicable, c’est vrai que ce jour-là il avait bu, mais ce n’était pas la première fois qu’il montait sur le grenier dans cet état et il prenait des précautions, il ne marchait jamais au bord.

-Quel est votre version ?

-Nous pensons qu’il a été poussé, et ce billet le confirme.

-Pas évident, l’auteur utilise peut-être cet argument pour vous faire peur, et vous aviez fait part de ces réflexions à la gendarmerie lors de l’accident ?

-Oui, mais les gendarmes nous répondu que c’était souvent le réflexe des proches dans de telles circonstances… Ce que vous ignorez certainement, c’est que mon grand-père Auguste est mort lui aussi brutalement, à quelques mètres du point de chute de mon père, dans un hangar attenant à la grange, d’une crise cardiaque d’après le médecin, lui qui n’avait jamais eu de problèmes du côté du cœur. Il avait chuté contre une charrue, sa tête avait heurté un soc, il pesait plus d’un quintal, vous imaginez, de nombreux ragots circulaient, certaines mauvaises langues disaient qu’il avait été bousculé par mon père lors d’une altercation comme cela se produisait de temps en temps parait-il, c’était fin 1945, et si il avait été poussé par un tiers ? Celui qui a récidivé avec mon père…

Evidemment, ce message a de quoi inquiéter Roger Pierret.

J’examine l’écriture, elle est régulière, les lettres parfaitement formées.

-Vous ne reconnaissez pas cette belle écriture ?

-Qui écrit encore de cette façon de nos jours, personne de mon entourage.

-En plus c’est avec un stylo à encre, avec des pleins et des déliés.

-En effet, je n’avais remarqué ce détail… Alors qu’en pensez-vous ?       

-Pourquoi vous adresser à moi, si vous avez des craintes pour votre vie, adressez-vous plutôt à la gendarmerie.

-Je connais trop bien les gendarmes, ils vont me dire que c’est l’œuvre un farceur, et puis je ne veux plonger ma petite famille dans l’angoisse, maman est fragile depuis ma mort de mon père, je sais que je peux vous faire confiance, vous avez vos entrées partout.

-Cette enveloppe était peut-être à cet endroit depuis plusieurs jours.

-C’est possible, je prends rarement un livre dans ce rayon, mais mon épouse ou la femme de ménage pouvaient la trouver en faisant la poussière, je pense qu’elle a été déposée récemment.

-Mais il fallait que celui qui l’a déposée s’introduise chez vous ?

-Vous savez, dans nos villages, le maire reçoit souvent des visites chez lui, c’est mon cas, je tiens une permanence à la mairie une fois par semaine mais c’est tellement mieux de venir ici, plus convivial, les litiges se règlent plus facilement, un petit verre suffit parfois à détendre l’atmosphère.

-Tout de même, si vous pensez que votre père et votre grand-père ont été la victime du même individu, il met du temps et de la réflexion entre ses interventions, tout d’abord en 1945, ensuite en 1978 et maintenant, dix ans plus tard.

-Vous connaissez le proverbe, la vengeance est un plat qui se mange froid…

-Que pourrait-on reprocher à votre famille, une vielle histoire antérieure à 1945, éventuellement ?

-Vous y êtes, mon grand-père a dirigé la commune durant l’occupation, ce n’était pas facile, il lui fallait ménager la chèvre et le loup et mon père était prisonnier, de nombreux évènements se sont déroulés dans notre canton, vous qui avez des contacts faciles avec les gens, je pense que sous prétexte de faire un article sur la période de l’occupation, vous pourriez recueillir quelques informations.

Ce genre d’investigation n’est pas pour me déplaire, pendant des années après la libération, il était difficile de récolter des renseignements, mes anciens collègues s’en souviennent, les souvenirs étaient trop frais, maintenant les langues devraient se délier.

-Alors, vous êtes d’accord pour m’aider monsieur Passy, je vous dédommage de vos frais, de route et divers.

-Si je m’occupe de votre affaire, ce sera dans le cadre de mon emploi, et avec l’accord de mon patron, je suis payé pour exercer mon métier

-Excusez-moi, je ne vous ai pas froissé j’espère, vous savez à notre époque tout se monnaye.

Roger Pierret est visiblement gêné, je le rassure, ce n’est pas la première fois que l’on me propose des cadeaux, j’accepte des places pour un concert, un spectacle ou un match, mais sans plus


18/02/2012
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