Les yeux de la lune
La situation s’accélérait, les libérateurs s’approchaient.
- Pour le 15 août nous serons libérés.
Les optimistes avaient déjà parlé du 14 juillet et cette date était déjà passée, j’écoutais radio-Londres et je savais que malgré leurs succès, les alliés avançaient plus lentement que nous l’espérions.
- Tu vas aux vêpres ?
Surprise de maman, depuis mes douze ans, depuis que j’avais fait ma grande communion, je n’allais plus aux vêpres les dimanche après-midi, la messe le matin passe encore mais les prières à n’en plus finir merci.
J’avais un motif valable pour aller à cet office, depuis huit jours, Brécourt comptait une nouvelle famille, du moins une dame et sa fille. Ces deux nouvelles étaient venues habiter une belle maison située dans la rue principale, j’avais appris que le chef de famille était un militaire de carrière, officier actuellement en captivité. Lors de la découverte de ces dames, le dimanche précédent à la messe, j’avais été subjugué par leur ressemblance, il fallait être proche pour s’apercevoir que l’une était plus âgée que l’autre. Des cheveux blonds ondulés, un regard clair, un port de reine et un visage souriant, elles avaient tout pour me plaire. Edouard avait deviné mon émoi, d’ailleurs j’étais certain que lui aussi était sensible aux charmes des nouvelles.
J’avais appris par Robert, encore enfant de choeur que la mère et la fille étaient très pratiquantes.
- J’parie qu’elles seront aux vêpres comme dimanche dernier
Elles étaient effectivement à l’église, dans les premiers rangs, j’essayais de ne pas trop me faire remarquer, surtout du curé, il aurait été étonné de mon regain d'attention pour la religion.
J’aurais pu me poster à la sortie de l’église, cela m’aurait évité la corvée du Magnificat et autres chants mais, pour avoir une chance de plaire à ces bigotes, je devais faire un sacrifice, les jolies dames valaient bien des vêpres, Henri IV m’approuverait.
La chaleur de l’été avait permis un certain relâchement dans la tenue vestimentaire et les robes passablement échancrées découvraient deux dos et quatre épaules d’un rose tendre. J’avais envie de mordre à belles dents dans cette chair appétissante. Je cherchais le moyen d’aborder les objets de mon désir fou, je ne pouvais compter sur une glissade comme qui avait projetée Lily dans mes bras...Lily qu’est-elle devenue ? sa maman habite la maison bleue depuis des mois, elle ne vient que rarement à la messe, certains disent qu’elle est malade elle aussi...décidément ces parisiennes sont bien fragiles...
- Ca brûle là-bas, regardez.
Nous étions sur le parvis de l’église, j’attendais la sortie des deux dames que j’avais vu se diriger vers la sacristie, probablement pour rencontrer le curé. Le cri d’un gamin me faisait tourner la tête vers l’horizon, au-dessus du village, vers la forêt, une volute de fumée montait vers le ciel.
- C’est le hangar des boches.
Un hangar construit depuis l’arrivée des Allemands à Brécourt et qui abritait une partie de la récolte de blé de leur ferme.
- Que se passe-t-il ?
La voix était charmante elle aussi, j’attendais que la fille ouvre la bouche pour juger si à ce niveau la similitude entre les deux femmes se confirmait, la bouche souriait de toutes ses jolies quenottes mais aucun son ne sortait.
J’étais rapidement édifié, alors que je venais d’expliquer ce qui se passait, la dame se tournait vers la demoiselle et lui faisait des signes cabalistiques, la jolie bouche s’ouvrait, laissant passer un son rauque. Sourde et muette, comme Jeanne Lignon, la couturière.
Je voulais faire le malin, reprenais à mon compte les gestes de la mère, celle-ci s’esclaffait.
- Vous êtes en train de lui dire qu’il fait froid, qu’il va neiger.
- Comment lui dire qu’elle est jolie ?
Je me demande encore qu’elle voix interne m’avait poussé à débiter cette phrase, si c’est mon ange gardien, il est spirituel.
- Vos yeux vous trahissent jeune homme, elle est effectivement sourde et par la force des choses muette, mais sa vue est perçante, elle peut lire dans les esprits... quel est votre prénom.
Si la maman est également capable de lire dans les esprits, elle doit comprendre que je l’admire elle aussi, pire que je la désire.
- Vous savez où nous habitons, j’attends votre visite jeune homme, ce soir vers dix neuf heures, Nanou sera heureuse de mieux vous connaître, vous lui plaisez beaucoup.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 10 autres membres