Les yeux de la lune
Grand-père Louis semblait heureux de mon retour mais il boitillait.
- Une chute à vélo, dans la côte de l’église, ce n’est pas grave, viens me voir demain matin, j’aurais un service à te demander.
Pierrot me donnait des indications.
- Je sais ce il va te demander, d’aller compter les bêtes au grand parc, il n’a pas confiance en moi...remarque il a raison, c’est impossible de les compter ces cavales, elles courent dans tous les sens.
Le grand parc était une sorte d’enclave dans la forêt, vingt hectares d’herbage d’excellente qualité ; grand-père prenait des bovidés en pension durant la bonne saison et en assurait la surveillance, visitant les lieux deux fois par semaine. Souvent je l’avais accompagné, la première mission était de compter le nombre de pensionnaires. Pierrot avait raison, ce comptage était difficile car, affolés par une présence humaine, les génisses et taurillons cabriolaient comme des chèvres. L’alimentation en eau était produite à l’aide d’une pompe actionnée par une éolienne mais il arrivait que l’absence de vent assèche l’auge, il fallait alors tourner une énorme manivelle métallique pour à nouveau faire remonter le précieux liquide dans le tuyau.
Le lendemain, je venais voir grand-père et effectivement, il me confiait la mission que temporairement il ne pouvait assumer.
- Trente huit, voilà ce que tu dois compter, prends ton temps et sois certain de ce chiffre.
Le premier jour, j'avais de la chance, les bêtes étaient rassemblées autour du point d'eau, l'auge était vide. Je tournais la manivelle et, dès le premier filet d'eau, les veaux se bousculaient pour boire une rasade. J'avais l'impression qu'ils me regardaient comme pour me remercier.
Le bruit de la pompe résonnait dans ce lieu enchâssé dans la forêt, c'était comme une musique et je l'accompagnais en chantant à tue-tête, certain que personne ne pouvait m'entendre. Après le pompage, alors que les pensionnaires s'égaillaient dans le parc, je m'asseyais sur le rebord de l'auge en pierre et, fermant les yeux, j'écoutais le silence.
Après quatre tournées d’inspection où j’avais effectivement éprouvé des difficultés pour être e.certain de mon compte, grand-père pouvait remonter sur sa bicyclette.
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