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Le moulin des ombres

Aucune une seconde à perdre, je prends rendez-vous avec Verlet.

La réceptionniste a changé, la remplaçante est tout aussi jolie que la titulaire et encore plus sympathique.

- Il n’est pas dans son bureau en ce moment, des travaux en cours, venez je vous montre le chemin.

Se trouver dans un ascenseur avec un gendarme aussi avenante ... et elle reste plantée au beau milieu, si bien que je la respire, que je la touche presque.

- C’est donc vous monsieur Laurent Passy.

- Pourquoi, déçue ?

- Mon père vous connaît bien, il est correspondant à Louveilles, Henri Saunier.

-  Officier à la retraite, rigoureux et précis, transmettez-lui mes respects.

Un long couloir et je débarque dans un petit bureau sombre qui pue la peinture fraîche.

- Je campe dans les annexes,  des malfaçons dans du neuf, c’est scandaleux...merci Saunier...asseyez-vous, je suis à vous dans quelques secondes, le temps d’aller chercher un dossier.

 

- Comme je vous  le disais, des bureaux neufs et déjà des problèmes, une isolation phonique déplorable, nos vieilles installations avaient des murs épais et rien ne filtrait, dans ce beau décor, il parait que les sons se transmettent pas le sol et le plafond, c’est gênant...Votre patron, au courant pour le petit cadavre ! il fallait s’y attendre, demander la discrétion absolue à monsieur tout le monde est difficile, il suffit d’une confidence à une épouse et c’est la traînée de poudre.  Vous pouvez dévoiler la découverte du petit corps et ajouter que nous sommes sur une piste sérieuse, une jeune femme a été entendue, certainement la mère, par contre il n’est pas prouvé qu’elle soit la meurtrière.

- Une jeune femme de Lannois?

- Originaire de ce village, c’est tout ce que je peux vous dire pour l’instant, croyez-moi, aucune fuite cette fois.

- Vos murs en papier mâché.

- Les locataires de cet immeuble sont tous assermentés...vous serez le premier informé, faites-moi confiance.

Le téléphone grelottait, le capitaine répondait brièvement et par monosyllabes.

- A bientôt monsieur Passy et je pense qu’à votre prochaine visite j’aurai réintégré mes pénates.

Un salut amical à mademoiselle Saunier avant de sortir me valait un sourire agréable, de quoi me mettre de bonne humeur pour le restant de la journée.      

 

Le patron ne m’avait pas adressé de compliment, c’est contraire à sa déontologie personnelle mais nous avions grillé la télévision. Je soupçonne fort ces messieurs du petit écran d’avoir pompé copieusement dans mon article pour asseoir leur commentaire comme cela se produit régulièrement, le comble, les lecteurs affirment l’inverse ; j’ai passé le temps où je tentais de me justifier.

Je voulais faire une incursion à Lannois, prendre le pouls d’un village probablement en ébullition et, en passant à hauteur du moulin, j’avais été pris d'une envie de voir Isabelle Delvaux.

Mon ami Sultan doit être enfermé ou attaché, je l’entends aboyer plaintivement, m’a t’il senti l’animal?

- Ah! c’est vous?

L’hôtesse se penche à une fenêtre de l’étage, malgré l’heure avancée, elle sort manifestement de son lit, sa chevelure en bataille le prouve.

Je dois attendre de longues minutes avant de voir la porte d’entrée s’ouvrir.

- Je ne vous attendais pas du tout, vous passiez dans la région?

Elle a enfilé un peignoir de bain dont elle maintient solidement le col,  est-elle devenue prude? elle a oublié qu’un jour elle m’a dévoilé une grande partie de son anatomie charnue.

- Sultan est puni?

- Ce chien est malade, il hurle constamment.

Inutile de forcer la porte, Zaza me refoule vers le parking.

- Monsieur Delvaux va bien?

Je dis n’importe quoi pour meubler.

- Il a beaucoup de travail, en ce moment les clientes ont plus de rides au retour de  vacances.

- Le soleil est un excellent fournisseur de cliniques réparatrices, il devrait réclamer des commissions.

Mes répliques vasouilleuses tombent à plat, inutile d’insister, manifestement j’importune madame Delvaux.

 Une dernière tentative.

- Et votre belle-sœur?

- Elle voit toujours des ombres passer devant sa fenêtre, en pleine nuit et au premier étage, elle est réellement malade.

Elle aussi, comme le chien...

Prestement rentrée Zaza et la porte vivement refermée. Sultan s’égosille de plus belle, quel étrange impression, ce moulin baigne dans une atmosphère curieuse.

Pas un chat dans les rues de Lannois, le bistrot est fermé, un papier griffonné et scotché sur la porte indique une fermeture exceptionnelle, décidément ce village n’est pas accueillant aujourd’hui. 

 

A peine rentré au bureau, je reçois un coup de fil inattendu, Mélodie et sa voix charmante aux intonations enfantines. Le téléphone est un révélateur, les accents même légers s’amplifient, les émotions, les sentiments se devinent.

- Vous étiez ce matin à Lannois et vous n’êtes même pas venu me dire bonjour, ce n’est pas chic.

- J’ignorais votre présence à la ferme et puis...

- Vous avez peur de maman, avouez...j’aurais aimé vous rencontrer, vous reviendrez je pense...cette histoire d’infanticide, même après tant d’années, elle bouleverse le village, les habitants ne parlent que de cela, à la maison ce ne sont que chuchotements entre papa, Arnaud et maman, l’impression que notre famille est directement concernée, avez-vous des précisions?  et si je viens vous voir, vous me recevrez? avec Caro ma meilleure amie, elle voudrait voir vos bureaux.

- Prévenez-moi, je vous attends avec plaisir.

 

Mélodie avait raison de supposer que l’infanticide avait un rapport avec le clan Lemoine-Girard, Marie, la fille aînée de Louis Girard, avouait avoir mis au monde un garçon au mois de juillet 1982. Né viable, il avait été pris en charge à sa naissance par Louis qui voulait soi-disant le confier anonymement à une œuvre charitable. Louis résistait longtemps aux interrogatoires avant d’avouer et déclarait que le bébé était mort quelques heures après sa naissance. La suite était déjà connue et Louis Girard était écroué. J’essayais de savoir s’il avait avoué les meurtres des Mangoni père et fils, mais en vain.

 

Un autre coup de téléphone me surprenait, Michèle Derenne, dite Mimi voulait me parler de toute urgence.

- Pas dans vos bureaux, je vous attends au Cérigo à Nantilly, c’est mon bar, vous voyez où il se trouve? rue des Dinandiers dans le vieux quartier, juste derrière le commissariat de police...venez vers dix neuf heures si c’est possible, le bar et fermé mais vous sonnez à la porte qui se trouve sur le côté, une porte peinte en jaune.

 

Je réussis à m’introduire entre deux véhicules après de nombreuses manœuvres, c’est une excellente situation pour décourager les voleurs de bagnole, le quartier a mauvaise réputation, même quand le commissariat de police avait une sortie arrière, les voyous  sévissaient déjà. Inutile de mettre ma vignette ‘presse’ en exergue, les jeunes se moquent bien de ce signe distinctif.


04/04/2011
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