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Le grand verger (suite)

J'ai hâte de me retrouver en tête-à-tête avec Alice, j'ai de nombreuses questions à lui poser, sa conversation avec Maria prouve qu'elle a bien connu cette dame et son Albert.

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- Ne dis rien, je devine tes pensées petit curieux, sans entrer dans les détails, sache que Maria a travaillé chez nous, elle t'a connu tout petit, elle t'a même torché le derrière.

- Et pourquoi  la retrouvons-nous dans cette cabane, au milieu des bois, vivant avec un monstre barbu.

- Monstre c'est toi qui l'affirme, pour Maria il a été un sauveur, finalement même en vivant en recluse, elle est heureuse et l'hospitalisation de son homme est une catastrophe, il faut souhaiter qu'il rentre bien vite.

- Justement, tu as dis qu'il allait bien, tu avais des nouvelles?

- Avant de partir, j'ai téléphoné au docteur Garraud qui m'a dirigée vers l'hôpital, le gaillard est hors de danger, il va être rapidement sur pieds car c'est un costaud malgré sa faible corpulence, heureusement qu'un bon samaritain est passé sur la route de Prévocourt.

 

Je peux rouler sur mes traces fraîches au retour, je traverse le village à vive allure, au risque de me faire à nouveau sermonner par le curé.  Notre arrivée dans la cour du château ne passe pas inaperçue, Béatrice  me toise depuis son perron.

- Alors mon cousin, vous avez commandé une robe à Marguerite, pour jouer les chevaliers d'Eon dans la cour de votre castel.

Je ne réponds jamais directement aux sarcasmes de cette pimbêche, elle serait trop heureuse, j'attends mon heure pour la moucher, relever une phrase idiote comme il lui arrive de dire de temps en temps, devant témoins. Nous sommes  en conflit permanent,  dix ans plus âgée que moi, elle aurait voulu que je sois son  valet, son esclave prêt à la secourir et à la servir, depuis son mariage il y a trois ans, elle me titille continuellement sur ma virilité, me demandant si elle aurait un jour le plaisir d'avoir un petit cousin. Finalement, je sais que c'est le contraire, Alice m'a dévoilé un secret de famille, sa fille est stérile et je n'aurai jamais de petit cousin ou de petite cousine, ce doit être pour cela qu'elle est désagréable à mon égard. Et si elle avait des vues sur moi?  Certains gestes sont à l'opposé de ses paroles,  surtout à l'église, quand nous sommes assis côte à côte, d'ailleurs elle se débrouille pour ce soit souvent le cas, elle frotte ostensiblement sa cuisse le long de la mienne ce qui m'oblige à changer de position car ce contact me déplaît. Béatrice n'a jamais été au générique de mes fantasmes, elle est plate comme une limande, toujours vêtue strictement, aucun maquillage, une bouche en cul de poule et des cheveux raides comme des passe-lacets, je me demande d'ailleurs par quel miracle elle a trouvé un mari, quelle sainte a t'elle invoquée ? heureusement que son Vincent est myope comme une colonie de taupes.

- Mère, si tu permets, je vais faire un petit galop, je serai de retour pour dresser la table, c'est promis.

- Allez ma fille, je vous en prie.

Cette réponse sur un ton moqueur m'amusait, Béatrice se prenait réellement pour une châtelaine, elle allait parader dans les rues du village avec son vénérable hongre Bijou, un cadeau que son  papa lui avait offert quand elle avait enfin obtenu son bachot, à vingt ans et peut-être grâce à un coup de pouce de son père et…maire de Labréville. D'ailleurs la demoiselle avait exprimé son amertume et sa jalousie quand, pour la même raison mais à 18 ans, j'avais eu en cadeau ma puissante moto. L'oncle trésorier voulait me gratifier d'un vélomoteur de 125 cm3, une pétrolette infecte, d'occasion en plus, j'avais protesté, désirant une grosse machine, avec l'appui de grand-père et de son ami marchand de cycles et motos, j'avais  eu gain de cause. Le permis en poche depuis le début des vacances, je sillonnais les routes du département.

 - Allez jeune homme, viens m'aider à transporter les cartons à l'étage.

 

J'ai bien compris que cette histoire de cartons à déplacer n'était qu'un prétexte pour trouver un coin tranquille, propice aux conversations secrètes et délicates, grand-père m'avait fait des signes depuis son donjon, lui aussi voulait me parler, je demandais cinq minutes à ma tante, sachant que j'allais subir une question précise à laquelle j'allais répondre par un mensonge. Je maintenais la version officielle, nous revenions de Souvilly, de chez Marguerite.  Je me demandais si j'étais crédible, grand-père me regardait d'un drôle d'air, il faudra que j'apprenne à mentir sans remuer le bout du nez.

Alice et moi  montons tout de même quelques babioles à l'étage pour donner le change.


26/10/2010
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