Le dessous des cartes
Je m'attendais à des discours fleuves, mais le sous-préfet était absent, le Conseiller Général avait délégué son suppléant, un piètre orateur, et le maire était moins bavard que d'habitude. Il faut dire que la cérémonie se déroulait à l'extérieur et que le soleil était omniprésent.
-Je vous invite à l'intérieur pour boire le verre de l'amitié, nous avons soif et nous serons au frais.
Après quelques poignées de main, je m'arrangeais pour être vu par notre premier magistrat.
-Monsieur Passy, il est rare de vous voir dans de telles manifestations, vous avez pourtant du grain à moudre avec l'affaire Vernet.
-Qu'en pensez-vous monsieur le Maire.
-L'endroit est mal choisi pour en parler, êtes-vous libre un matin, vers dix heures, après mes signatures.
-Demain si voulez.
-Plutôt après-demain, ça vous va ?
La mairie est relativement calme, c'est vrai que j'y viens souvent lors d'élections et ces jours-là, c'est animé, en particulier au moment du dépouillement.
-Une bonne période pour travailler sans être trop dérangé, je prends mes vacances en hiver, l'été je reste entre nos murs, c'est assez reposant…Que disent les policiers, ils ont reconnu qu'il s'agit bien d'un crime, dès l'annonce de ce drame, j'ai appelé le commissaire, il m'a fait part de ses réserves, j'étais soulagé.
-Votre avis ?
-Comme la majorité de mes administrés, je pense à la vengeance d'un mari trompé ou d'une femme mais je n'écarte pas le crime crapuleux, vous le savez, Vernet avait des ennemis retors.
-Dont quelques-uns sont vos opposants.
-Ils m'ont accusé de favoriser la SIC, c'est faux, j'ai donné le feu vert à un autre projet qu'ils soutiennent, je suis partial.
-Les Vergers du Montcy, c'est un gros morceau !
-Environ cinq mille habitants, deux écoles en plus, avec Jacky on savait où on allait.
-Et maintenant ?
-Il a formé une bonne équipe, j'ai confiance, j'espère que la police va trouver rapidement le ou les coupables de ce forfait.
Je ne m'attarde pas, j'ai toujours une certaine méfiance envers les politiques, envers Philippe de Marois en particulier, il n'a pas toujours employé des moyens très honnêtes pour gagner, et à chaque fois avec une faible majorité. Aux dernières législatives, il l'a emporté avec une avance d'à peine cent voix, avant que son élection soit validée, les bulletins ont été recomptés et quelques-uns ont été déclarés nuls.
Parmi les personnes que j'ai rencontrées depuis la mort de Jacky Vernet, j'essaye de deviner qui m'avait envoyé un courriel, pas le maire puisqu'il savait que la thèse du suicide était remise en cause, après une conversation avec le commissaire. Un employé de la SIC, Sylvain ou Sophie ? Peut-être le directeur de la chaîne de supérettes, bien envie de le revoir, je passe à son bureau.
-Des inspecteurs de police m'ont interrogé, ils ont interrogé mes amis du cercle, j'ai répété ce que je vous avais dit, rien de plus, ils sont surpris de l'attitude de Jacky, de ses rares présences parmi nous, ils le soupçonnent d'avoir fréquenté un tripot clandestin, je pense les connaître tous et il m'arrive d'y jouer, personne ne m'a parlé de Jacky, c'est une femme qui l'a détourné, j'en suis certain.
-Certain ?
-Mon intuition et puis…
-Et puis ?
-Un soir, j'ai aperçu sa voiture dans le quartier alors qu'il n'était pas venu au cercle.
-Garée avenue de Verdun ?
-Dans une rue voisine.
C'est bien ce que je pensais, l'appartement de Sophie est dans les environs, comme dit Sylvain Raguet, ils cachaient bien leur jeu, mais est-ce que le meurtre a un rapport avec cette liaison, tout est possible.
Comme d'habitude quand une telle affaire criminelle se produit dans notre région, le patron exige des papiers fréquents, le lectorat est demandeur, seulement la police et la justice fournissent rarement des d'infos spontanément et je dois les harceler pour obtenir quelques miettes. Trop peu pour alimenter ma rubrique ce qui m'oblige à faire une sorte d'enquête parallèle, mais en restant le plus discret possible et en étant sûr des renseignements collectés avant de les diffuser.
Dans une presse spécialisée dans les révélations sulfureuses, je lis que Jacky Vernet aurait renoué des liens intimes avec Annie Legrand, sa première épouse, et que le motif du crime pourrait être lié à ces retrouvailles.
Suite à cette parution, je reçois un coup de fil de Sylvain Raguet.
-Je me demande comment ils peuvent arriver à une telle conclusion, c'est vrai que les rapports entre les deux divorcés étaient bons, mais j'ai toujours pensé que c'était par intérêt, l'une et l'autre avaient de bonnes raisons de bien s'entendre.
-Où habite Annie ?
-Aux Domaines du Coteau, Jacky avait racheté une villa dans ce quartier qu'ils avaient réalisé ensemble, ils l'ont habitée deux ans et, lors du divorce, il lui a laissée.
-Vous avez revu madame Legrand depuis la parution de l'article ?
-Non, je me demande comment elle va réagir, si c'est vrai, elle ne bougera pas je pense.
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