La carrière blanche
Yves Fournon ne s’est pas installé dans le bureau du patron, il est resté dans le sien.
-Madame Bertin me l’avait conseillé mais je ne serais pas l’aise pour travailler, je fais comme si le patron était encore là, je m’attends à chaque instant à voir la porte s’ouvrir brusquement après le coup de fil d’un client mécontent en raison d’un retard ou d’une éventuelle malfaçon ou celui du banquier annonçant une traite impayée…J’imagine sa réaction aujourd’hui, nous venons d’apprendre que la veuve d’un ouvrier décédé sur un chantier porte plainte contre nous.
-Un accident mortel, je ne me souviens pas d’avoir traité un tel sujet récemment !
-Non, il date de plus d’un an, c’était sur un chantier à Loisey.
-Je vois, deux terrassiers ensevelis dans une tranchée, un mort et un blessé grave.
-Les rapports des experts avaient écarté la responsabilité de l’entreprise, cet accident découlait d’une maladresse évidente, d’un non respect des règles primordiales de sécurité, je pense qu’un syndicat que je ne citerai pas est derrière cette remise en cause.
-Le chef de chantier était André Simon je crois, le brave homme était catastrophé, c’était son dernier mois de travail il me semble.
-Exact, il n’avait jamais connu d’accident mortel avec son équipe pendant plus de vingt ans, et pourtant les mesures sécuritaires n’étaient pas aussi draconiennes qu’à présent.
-Il a été remplacé par Robert Celli.
-En effet, mais vous savez que ce monsieur ne fait plus partie de notre personnel…Votre question me fait penser qu’il est peut-être l’incitateur du dépôt de plainte, c’est bien possible, c’est un revanchard.
-Licencié en raison de malversations ?
-De vols de matériaux, ciment, agglo, sable et bois de charpente, qu’il détournait pour vendre à quelques constructeurs privés, les preuves ont été établies, il devrait être inculpé prochainement.
-Il avait obligatoirement un ou plusieurs complices, ce trafic ne pouvait se faire sans un transporteur, un camion ?
-C’est évident, il est muet comme une carpe, il n’a donné aucun nom aux policiers, nous pensons à un ou plusieurs chauffeurs extérieurs, vous savez, ceux qui viennent en renfort quand nous ne pouvons assumer les transports, surtout après une démolition.
-Monsieur Bertin avait peut-être des soupçons ?
-Je le suppose mais il ne m’en avait pas parlé, c’était son habitude, il était prudent, il attendait toujours d’avoir des preuves irréfutables avant de mettre les gendarmes dans le coup…Et s’il en avait eu la certitude, qu’il était sur le point de démasquer les coupables, ou s’il les avait surpris en flagrant délit…Non, on ne tue pas pour de telles broutilles.
-Oh que si, malheureusement.
Le cheminent de ma pensée prend tout de même une autre direction, et si l’entrepreneur avait surpris ces deux hommes non pas en train de détourner du matériel mais alors qu’ils venaient de commettre un acte ignoble, après avoir violé et assassiné la jeune fille ?
Seulement, il faut savoir si, du chantier au dépôt du transporteur, mes deux suspects passaient devant la carrière… et si Marc Vidal, sachant que Virginie allait emprunter cette route avait demandé à Celli de faire un détour ?
C’est en faisant le plein d’essence que je remarque un automobiliste enfilant des gants en caoutchouc avant de se servir à une pompe de gasoil, étonnant que Guy Bertin n’ait pas pris cette précaution puisque le révolter portait des traces de carburant.
Je demande à madame Bertin l’autorisation de visiter l’intérieur du 4/4.
-Il est au garage de l’entreprise, il n’a plus bougé depuis que les gendarmes nous ont permis de le récupérer, quelques jours après la mort de Guy, notre intention est de le vendre, je ne veux plus le voir, je préviens Yves.
Le véhicule est garé au fond du garage, le responsable du service m’accompagne.
-Vous l’avez lavé ?
-Quand on l’a récupéré, oui je pense, attendez, je pose la question à l’apprenti, c’est son boulot.
Le jeune homme confirme.
-Les roues et les jantes étaient sales, de la boue blanche, comme de la craie, je m’en souviens.
Protégé par un sachet de plastique, une paire de gants en caoutchouc se trouve effectivement dans le coffre du 4/4, je les sors, mon nez m’indique que monsieur Bertin les utilisait, pourquoi a-t-il fait le dernier plein de gasoil à mains nues ? Et si l’assassin avait pris ces gants pour conduire et pour mettre le révolver dans la main de la victime ?
Je me permets de regarder à l’intérieur du véhicule, au contraire de l’extérieur, l’intérieur n’a pas été nettoyé, le tapis de sol du conducteur présente des traces blanches, il faudrait peut-être analyser cette poussière, savoir si elle correspond au sol de la carrière, je vais en parler à la PJ.
Rien dans les vide-poches, les gendarmes les avaient examinés, je crois qu’ils n’avaient trouvé que les papiers et quelques cartes routières.
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