Les raisins verts
Les raisins verts
Amédée se frottait les yeux.
- C’est pas possible, je deviens fou, ce matin les grappes étaient encore bien là.
L’homme soulevait les feuilles de sa vigne mais il lui fallait se rendre à l’évidence, les vendanges étaient faites, seules quelques grappes minables étaient encore accrochées.
- Germaine, viens voir...viens donc voir le carnage.
- Tu veux ameuter tout le quartier avec tes hurlements...qu’est-ce qui se passe ?
Amédée arpentait le chemin tracé entre ses deux rangées de ceps, soulevant les feuilles et grommelant.
- Regarde le travail, qui a pu faire une chose pareille, c’est pas les moineaux cette fois, ils avaient deux pieds et deux mains, p’t’être qu’ils étaient plusieurs, les vandales, à huit jours des vendanges, tu te rends compte.
- Ma foi, c’est étrange.
Germaine ne comprenait pas, son homme était estimé dans le village, et tout le monde savait que sa vigne était sacrée, il passait des heures et des heures à tailler, traiter et piocher ses trente pieds de pinot, les derniers du village.
- Bon, tu ne vas pas en faire une maladie, ton vin...
- Quoi mon vin ? Dis-moi que c’est une piquette...bon, c’est vrai qu’il y a meilleur, mais c’est le mien, et puis j’aimais bien cueillir les grappes lourdes de beaux raisins, d’en presser le jus, de le voir fermenter, de faire mon pinard, tu ne peux pas comprendre.
La dernière vigne du village, alors que dans le temps, la côte Saint-Martin était couverte d’un beau vignoble, qu’une vingtaine de vignerons produisait un vin rouge un peu épais, un peu âcre certes mais que les paysans et les bûcherons aimaient car il était issu du terroir, mais le terrible phylloxéra avait anéanti le vignoble.
- J’vais porter plainte à la gendarmerie, les voleurs ne l’emporteront pas au paradis.
- Tu veux que les gendarmes se moquent de toi, ils ont autre chose à faire que de courir après les maraudeurs, avec tout ce qu’on voit maintenant.
Les cris d’Amédée avaient intrigué les voisins, René Carnin écartait la haie de thuyas pour voir ce qui se passait dans le jardin des Norroux.
- Je peux déjà vous dire que ce n’est pas moi, vous voulez mon avis, c’est un coup des gamins de la rue du Moulin, des petits voyous, vous devriez aller faire un tour par là, si vous voulez, je vous accompagne.
Germaine trouvait la démarche inutile mais les deux hommes étaient bien décidés.
- Tenez, vos voleurs ont fait comme le petit Poucet, ils ont semé des indices, on va les retrouver.
- Vous... si je m’attendais, petits galopins je vais le dire à votre papa, vous allez prendre une fessée.
En suivant la piste, les deux hommes venaient de découvrir les auteurs de cet acte de vandalisme, Jérôme et Benoît Bertrand, des jumeaux du voisinage.
- Vous m’avez fait du beau travail, le raisin n’était pas assez mûr.
Les malheureuses grappes avaient été entassées dans des seaux et des auges, les gamins avaient le visage couvert de jus.
- Tu ne vas pas faire du vin avec des raisins verts, ton vin sera vraiment imbuvable cette fois.
Têtu Amédée, son atavisme lui interdisait de jeter les fruits, il ferait tout de même du vin.
- Pas croyable, tu nous roules Amédée, t’as acheté du Beaujolais à l’épicerie.
- Mais non, je vous jure que c’est mon pinard, celui que j’ai fait avec les raisins que les gamins avaient cueillis trop tôt...j’attendais trop longtemps pour les vendanges, les grains perdaient leur jus.
Le vigneron avait invité ses copains, les trois bouteilles qu’il venait de mettre sur la table allaient être éclusées rapidement.
- Doucement les gars, un cru comme celui-là, il ne faut pas le boire quand on a soif.
L’année suivante, Amédée cueillait son raisin avant complète maturité, les jumeaux avaient été embauchés pour les vendanges.
- Des spécialistes ces gamins, ils ont le coup.
La récolte était bonne, le vin était aussi bon que celui de l’année précédente. Amédée agrandissait son vignoble, il lui fallait répondre aux commandes des gens du village.
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