Le sapin voyageur

Alfred soulevait sa casquette et se grattait la tête, il n'avait pas encore touché à la chopine et il était victime d'hallucinations. <J'ai la berlue, ma parole, j'ai bien accroché ma musette à un sapin, face au chemin>. Un regard circulaire et il découvrait sa musette pendue à la branche d'un sapin, mais à l'opposé. <V'là que je n'ai plus le sens de l'orientation, heureusement que Mario est en retard, il se ficherait de moi, ce rital>. Le bucheron attendait son compagnon, pour scier des troncs au passe-partout, il faut être deux. Quelques minutes plus tard, il constatait que le sapin avait encore bougé, il était revenu à sa position initiale. <Je perds le nord, va falloir que je me calme dans le boulot, à mon âge>.

<T'as pas l'air dans l'assiette de toi, Fredo>. Mario arrivait et se rendait compte que quelque chose ne tournait pas rond. Comme Alfred, il accrochait sa musette au fameux sapin, assez loin de l'abattage…et puis il valait mieux la pendre, les souris auraient bien vite décelé la bonne odeur du parmesan et de la mortadelle.

<Alors comment qu'elle va ta Zezette, la bellassima ?> Alfred évitait de parler de sa femme, il savait qu'elle ne respectait pas toujours le contrat de mariage, mais il fermait les yeux. <Elle tient bien la maison, c'est une excellente cuisinière et puis je n'ai pas besoin de me cacher pour coucher avec elle>. Le cocu respirait en grand coup, il sentait encore les effluves du parfum de Zezette, elle venait d'en changer et le nouveau était particulièrement tenace. En inspirant plusieurs fois, Alfred avait l'impression que tout tournait autour de lui. <Je comprends… le sapin voyageur…>.

Le hurlement de Mario le ramenait à la réalité. <Mama mia, je deviens fou, regarde le sapin, il a bouzé>…

L'Italien se relevait péniblement, le coup de poing que son compagnon venait de lui asséner lui avait remis les idées en place.

<Le sapin, il est revenu tout sol où qu'il était>.

C.C.